Escargot de Corse et paysages du Ricantu: reconquête et protection dans la baie d’Ajaccio

Written by Claude CAMILLI

Escargot de Corse et paysages du Ricantu: reconquête et protection dans la baie d’Ajaccio

La plupart des informations présentes dans cette vidéo sont tirées des données du Conservatoire du littoral.

Un escargot, ça se déplace lentement… mais ça laisse des traces… Alors, regardez donc cette vidéo.

Sources:

  • Conservatoire du littoral
  • Article de  portail sur les espèces menacées et les animaux en voie de disparition
  • Photos de l’hélix de Corse de G. Falkner et de Cécile Arnoud
  • Autres photos et films, Claude Camilli

Voici la transcription texte de cette vidéo.

Aujourd’hui, je veux vous raconter la très belle histoire d’un petit être vivant.  

Suivez-moi donc… Vous avez reconnu ? C’est en France, mais plutôt au sud avec ces palmiers. Au loin vous devinez Ajaccio.

Nous sommes donc en Corse du sud… La plupart des informations présentes dans cette vidéo sont tirées des données du Conservatoire du littoral.

Eh bien oui, ce petit être, c’est moi et c’est l’histoire de ma famille que je vais vous raconter. D’abord, je me présente. On m’appelle l’escargot de Corse mais mon vrai nom est Tyrrhenaria ceratina.
Je suis tout petit mais bien joli.

Mon espèce est endémique de Corse : si vous voulez  nous chercher sur toute la planète, vous ne nous trouverez qu’en Corse. Autrefois, certains d’entre nous s’étaient établis autour de Bonifacio et de Bastia. Mais actuellement nous ne sommes plus présents qu’autour d’Ajaccio et encore sur un tout petit territoire ridicule, de 2 ha à peine.

Au 19ème siècle, mes ancêtres ont intrigué Henri Lecoq, vous savez le célèbre naturaliste. Vers 1851 il    a fait toute une étude sur nos meurs et il a enrichit sa collection de gastéropodes avec les coquilles de quelques-uns de mes ancêtres.

Je dois vous dire tout de suite que mon espèce est en danger de mort. On dit plus joliment en « danger d’extinction ». C’est qu’au 20ème siècle on nous a ignorés, méprisés et fait disparaître, en tout cas presque totalement. Nous étions installés près de la plage du Ricantu, à côté de l’aéroport d’Ajaccio qui est situé entre la pointe d’Aspretto et la tour de Capitellu.  L’armée a commencé par construire un centre de vacances, puis on a détruit notre lande pour bâtir un terre-plein et les voitures se sont mises à défiler partout sur nos terres. On transformait notre habitat en bitume et en béton !

En haut lieu, dans la capitale, on pensait que nous avions totalement disparu. A la fin des années 1990 quand même, le Museum National d’Histoire Naturelle est parti à notre recherche. Mais c’est qu’ils ont eu du mal à nous trouver ! Il faut dire que nous sommes petits et plutôt discrets et que nous sommes passés maîtres dans l’art de la dissimulation ! Ils nous ont cherchés vers Capitellu sur la rive gauche de la Gravona, le fleuve qui se jette tout près d’ici, là où Henri Lecoq nous avait étudiés au 19ème siècle.  Mais comme les hommes ont canalisé et enterré le bras droit du fleuve, ce bras a disparu et nous qui vivions entre les deux bras, sans avoir migré, nous nous sommes retrouvés  sur la rive droite de la Gravona, toujours cachés dans les sables du Ricantu. Ensuite, il leur a fallu se mettre à l’affût et guetter le bon moment ! Car avec mes camarades, nous ne sortons que la nuit. Et encore ! Qu’il fasse trop chaud, ou trop froid, ou trop sec, aucune chance de nous trouver ! Nous ne nous risquons pas de pointer le bout de nos antennes. En fait nous restons enfouis dans le sable presque 8 mois de l’année : 3 mois d’hibernation et  4 à 5 mois d’estivation.

Bon enfin en 1994, ils ont fini par nous dénicher ! Il était temps ! Ils estiment notre population à moins de 5 000 individus ! Et tous concentrés sur moins de 2 ha du Ricantu !

Ce n’est donc que tout récemment qu’ils ont commencé à s’occuper de nous. Dans un premier temps, ils nous ont donné le statut d’espèce protégée. Depuis 1997 ils protègent notre biotope. Il faut savoir que j’habite dans une végétation de buissons où pousse surtout le genêt de Salzmann et la scrophulaire rameuse. Sachez que nous sommes les premiers escargots à bénéficier d’un Arrêté préfectoral de protection de biotope.

Ensuite, en 2000, ils nous ont inscrits sur la liste Rouge de l’UICN. L’UICN c’est l’Union internationale pour la conservation de la nature. Celle-ci a estimé qu’en 2006 une espèce de mammifères sur quatre, une espèce d’oiseaux sur huit, et un tiers des amphibiens étaient menacés de disparition, et la situation s’est encore dégradée depuis.

Enfin plus récemment, ils ont classé notre habitat en Site Natura 2000.

Alors c’est donc qu’ils ont décidé de nous sauver. Mais pourquoi ? Ce n’est pas tout à fait uniquement pour nos beaux yeux… Il se trouve que le Conservatoire du littoral et les collectivités locales ont voulu aussi restaurer un paysage remarquable de la baie d’Ajaccio et ont voulu faire de cet endroit un lieu ouvert au plus grand nombre, dans le respect de la biodiversité.

Ainsi donc en 1996, il y a 20 ans déjà, un projet de restauration écologique a vu le jour.

Entre le centre de la ville d’Ajaccio et l’aéroport, donc en pleine zone péri-urbaine, on a redonné vie à notre habitat, un espace naturel qu’on nous avait saccagé. Tout le monde s’y est mis : les botanistes, les naturalistes et autres scientifiques ont œuvré à la restauration écologique de notre lande et s’attachent maintenant à nous sauvegarder. Les gardes du Conseil général sillonnent le site, tous les jours… pour surveiller et entretenir ce milieu redevenu naturel.

Le principe d’aménagement qui a été retenu est tout simple : on a construit un mur.

D’un côté du mur, on a laissé la route d’accès à l’aéroport, les parkings pour le stationnement des véhicules et la promenade piétonne.

Et de l’autre côté du mur, c’est le domaine de la lande et du cordon dunaire restaurés redevenu un espace naturel, et la plage bien sûr.

Les travaux ont commencé en 2001 et se sont poursuivis avec la plantation de pins et, surtout, avec des expérimentations pour revégétaliser le site.

En 2013 et 2014, les travaux ont repris pour renaturer  l’ancien camp de vacances de l’armée dans la lignée de la 1ère intervention : le mur a été prolongé, de même que l’alignement de pins. Les bâtiments abandonnés, en mauvais état, ont été détruits, les végétaux exotiques  enlevés. Et la lande, notre habitat, a repris ses droits !

A l’arrière de la plage, la zone naturelle a aussi un grand intérêt. On y trouve des laisses de mer c’est-à-dire des débris naturels accumulés par la mer comme les coquillages, les algues, le bois mort, les os de seiche. On y trouve aussi des fourrés qui aiment les milieux salés, des espaces dunaires et cette lande à genêt de Salzmann qui résiste aux sols sableux et arides. C’est une lande qui n’est pas habituelle sur le littoral, on la trouve plutôt en milieu montagnard. Pour que je survive, il est vital qu’on la préserve. Je croise aussi des espèces végétales rares, comme par exemple la linaire jaune et  l’euphorbe péplis.

Le Ricantu est donc débarrassé de toute construction et de toute végétation introduite, il a retrouvé son ampleur véritable, celle d’un grand site naturel aux portes de la ville d’Ajaccio.

Nous, les escargots de Corse, les autres animaux et les végétaux ne sommes pas les seuls à aimer ce lieu. Figurez-vous que les Ajacciens ont adopté le site et qu’ils sont heureux. Ils sont nombreux à venir se baigner, respirer, marcher ou courir. Il faut dire que l’endroit est superbe avec la plage qui est longue de 5 km et qui décrit un magnifique arc de cercle avec, en arrière-plan la crête des montagnes, enneigées en cette saison.

Plus au sud, séparé du Ricantu par l’aéroport, le secteur de Capitellu est plus grand avec ses 25 ha. Il est aussi moins accessible et plus sauvage et a moins souffert de l’urbanisation.

C’est un espace agricole constitué de bois, de prairies où paissent des ovins et des bovins et de zones humides liées aux cours d’eau de la Granova et du Prunelli. C’est donc lui aussi un site naturel qui a une grande valeur biologique et patrimoniale.

Eh bien, figurez-vous que leurs études récentes ont démontré la présence d’un nouveau « noyau de population » de l’escargot de Corse ! Oui, nous nous sommes installés là aussi, tout simplement parce que le lieu nous convient à merveille!

Le Conservatoire du littoral et le Conseil général ont passé une convention avec un éleveur. Mais les moutons et les vaches ne sont pas nos seuls camarades ! Cet espace humide abrite des espèces protégées d’amphibiens et de reptiles. Et puis il y a les oiseaux aquatiques qui viennent nicher ici comme le blongios nain, l’oedicnème criard ou le pipit rousseline.

Voilà mon histoire ! Racontez-la autour de vous !

Ah, au fait, je me nourris de sable et de végétation comme le lichen, la mousse ou les pousses de genêts. Et comme tous les autres escargots, je suis hermaphrodite, ce qui signifie que je peux produire à la fois des spermatozoïdes et des ovules. Trop fort, non ?  Nous pondons 3 à 5 jours après notre accouplement. Nos œufs sont petits, de 5 à 7 millimètres de diamètre pas plus, et nous les déposons par groupe de 6 à 20 dans un nid que nous avons creusé dans le sable et que nous consolidons avec du mucus. Environ 15 jours plus tard, nos petits éclosent. Ils ne sont pas gros non plus,  5 à 6 millimètres. Nous les gardons une dizaine de jours près du nid et deux ou trois semaines après leur naissance, ils commencent à bouger à la surface du sable.

Vite, justement je retourne me cacher dans le sable ! Essayez donc de me découvrir !

Encore un mot: « … On dit toujours: Lent comme un escargot! C’est bête! L’escargot ne marche-t-il pas ventre à terre? » Ce n’est pas moi qui le dis c’est Alphonse Allais.

Allons ensemble un peu plus loin et citons le Conservatoire du littoral :

« Le Ricantu et le Capitellu nous prouvent que rien n’est jamais figé et que, si on lui en laisse l’opportunité, la nature, même abîmée, s’empresse de reprendre ses droits… C’est le premier enseignement. Et pour autant l’homme n’est pas exclu, c’est le deuxième enseignement. Le Ricantu mêle avec bonheur usage populaire et exigence de conservation écologique. »

Revaloriser les potentiels paysagers et écologiques, telle était donc la volonté. Dès les années 1990, il est apparu nécessaire d’intervenir pour revaloriser le site et améliorer les conditions de sa fréquentation, en portant une attention particulière aux milieux naturels et aux espèces qui s’y développent.

C’est tout l’enjeu de ces opérations d’aménagement et de réhabilitation engagées par le Conservatoire du littoral, en partenariat avec la Collectivité territoriale de Corse, le Conseil général de Corse du Sud, l’Office de l’environnement de la Corse, l’État et l’Union Européenne, sur la base d’une étude paysagère.

Les interventions sur le site du Ricantu ont donc été réalisées en deux grandes phases de travaux, avec pour objectifs :

– une mise en valeur paysagère,

– la préservation de la valeur écologique du site,

– l’amélioration de l’accueil du public,

– la mise en place d’un dispositif de gestion pérenne.

Une véritable dynamique s’est donc créée.

Pourtant, les choses ne se sont pas faites simplement !

Il y a d’abord eu une opération délicate qui a nécessité le décapage du grand remblai et l’évacuation de près de 10 000 m3 de déblais.

Ensuite la revégétalisation a dû être entreprise par le croisement de plusieurs techniques pour recréer à terme un écosystème équilibré à partir d’un sol stérile.

Il a fallu aussi reconstituer le cordon dunaire et planter les espèces végétales permettant de fixer le sable. Les secteurs fragiles ont été protégés par des clôtures de ganivelles c’est-à-dire des barrières formées de lattes de bois.

Enfin il a fallu aménager une promenade sécurisée par des plots et planter des pins parasols.

Le succès du Ricantu auprès du public requiert la présence quasi-quotidienne des gardes du Conseil général qui a en charge la gestion du site.

Il faut régulièrement nettoyer, surveiller et réparer les dégradations pour conserver la qualité du site.

Il faut aussi informer et sensibiliser le public, lui faire découvrir les spécificités de ce site et l’inciter à adopter des comportements responsables.  Mais l’évolution du site sur la dernière décennie démontre qu’il peut y avoir compatibilité entre la protection d’un site fragile et l’accueil d’un public nombreux.

La gestion du site du Ricantu-Capitellu nécessite une concertation qui se fait sous l’égide du Conseil Général. Celui-ci préside le Comité de Pilotage du Document d’Objectifs Natura 2000.

Voici donc une reconquête écologique et paysagère tout à fait exemplaire.

Menée de façon expérimentale à partir d’un milieu stérile (ancien parking sauvage), la reconquête du site par la lande se traduit, après quelques années, par des résultats particulièrement satisfaisants : l’ensemble du cortège de plantes attendues a retrouvé sa place sur le cordon sableux du haut de la plage et sur la lande. La population de l’Hélix de Corse semble avoir profité de la protection des milieux naturels qui lui sont favorables.

Mais ces avancées restent fragiles comme en attestent les violentes tempêtes de 2008 – 2009 qui ont mis à mal le cordon sableux ou l’apparition de dégradations liées à la fréquentation.

Le domaine du Conservatoire du littoral s’est étendu progressivement, passant de 34 à 42 ha.

Mais il s’agit aussi de préserver les zones en dehors du domaine du Conservatoire du littoral ce qui implique de mener une réflexion sur l’extension du périmètre Natura 2000.

Un dernier mot sur le Conservatoire du littoral. Celui-ci est un établissement public national créé par la loi du 10 juillet 1975.

Il a pour mission d’acquérir les espaces fragiles et remarquables des rivages maritimes et lacustres français, de les protéger et de les ouvrir au public en partenariat avec les collectivités territoriales.

L’établissement intervient à ce titre sur plus de 700 sites, dont beaucoup bénéficient d’un plan de gestion.

Il reçoit, en soutien de son action, des dons et des legs.

Références :

Conservatoire du littoral

Article de Cécile Arnoud sur le portail de especes-menacees.fr

 

 

5 thoughts on “Escargot de Corse et paysages du Ricantu: reconquête et protection dans la baie d’Ajaccio

  1. Bravo pour cette belle présentation !
    Il y a tant à faire en France : sensibiliser les gens, encore et encore, commencer par les enfants pour inciter les adultes, tanner les politiques, barrer la route aux promoteurs sans scrupules…. David contre Goliath?

    Mais…. « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer » (Guillaume Ier d’Orange-Nassau).

    • Claude CAMILLI says:

      Merci Olivier pour cet encouragement… Et continuons à remonter nos manches!..

  2. Philippe Andlauer says:

    Quelle belle idée, cette histoire vraie en forme de conte : tout y est à commencer par la chair de poule devant les perspectives d’autrefois (que j’ai survolé souvent !) jusqu’à cette remarque pleine de promesse citée par le conservatoire du littoral : « Le Ricantu et le Capitellu nous prouvent que rien n’est jamais figé et que, si on lui en laisse l’opportunité, la nature, même abîmée, s’empresse de reprendre ses droits… C’est le premier enseignement. Et pour autant l’homme n’est pas exclu, c’est le deuxième enseignement. Le Ricantu mêle avec bonheur usage populaire et exigence de conservation écologique. » 
    Très bel exemple. Deux interrogations pourtant : j’ai lu quelque part Granova en pensant Gravone ; quant à la taille des œufs exprimée en mm…
    Bravo à tous les contributeurs : du site, de l’article, et de la merveilleuse humeur des escargots. /PA

  3. Claude CAMILLI says:

    Les escargots du Ricantu ainsi que ceux de Capitellu te remercient Philippe!
    Effectivement, il s’agit bien sûr de la Gravona. Quant à la taille des œufs, petite correction: 5 à 6 mm de diamètre. Petit certes, mais je ne pense pas faire d’erreur. Je précise tout de même que je n’ai trouvé (ni même cherché!) aucun œuf, bébé ou adulte…

  4. Je crois aussi que la nature peut reprendre ses droits et rétablir la vie, si on la laisse sans intervention elle établira de nouveau écosystèmes qui n’aurons peut-être pas les mêmes caractéristiques que celles préexistante aux dégradations, et c’est d’autant plus vrai que selon le facteur de dégradation, l’exemple de Tchernobyl en est une démonstration.
    Mais si on l’y aide et qu’on l’oriente il semble possible de lui permettre de retrouver des écosystèmes d’antan, je suppose que là également tout dépend des formes d’atteintes qui l’on dénaturés, en tout cas respect envers celles et ceux qui travaillent à restaurer des territoires, surtout s’il s’agit ensuite de laisser autant que faire se peut ces zones tranquilles.

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