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Le Bonhomme – Col de la Schlucht
22 septembre 2017
Voici une vidéo retraçant la 14ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Journée exceptionnelle! Étang du Devin : carex, comarets des marais, linaigrettes, prêles, renoncules à feuille d’aconit, caneberges, reines des prés, trèfles d’eau et saules marsault, tritons alpestres, libellules, grenouilles rousses. Moment d’histoire sur la Première Guerre mondiale. Gazon du Faing et ses Hautes-Chaumes. Réserve naturelle de Tanet-Gazon du Faing: « brimbelle », pipits et alouettes, callune ou fausse bruyère…
Voici le texte de cette vidéo:
Je m’arrache au confort du lieu et à la bienveillance de mon hôte pour démarrer sans tarder une journée qui s’annonce longue et superbe. Dernier regard vers l’église du Bonhomme avant de m’élever par ce pittoresque sentier idéal pour observer les mousses qui verdissent avec douceur roches et troncs, les champignons et les sapins qui s’apportent une mutuelle assistance, j’en suis formelle depuis que j’ai dévoré le livre de Peter Wohlleben, « la vie secrète des arbres ». Dès les premiers pas, je suis immergée dans l’allégresse dégagée par cette forêt et submergée de jubilation par sa beauté. Il est vrai que le soleil encore rasant l’anime de tous ses feux.
L’étang du devin est un ancien lac glaciaire tapissé par les sphaignes à l’origine de la tourbe. Les panneaux m’indiquent les carex autour de moi, les comarets des marais, les linaigrettes cotonneuses, les prêles, les renoncules à feuille d’aconit, les caneberges, les reines des prés, les trèfles d’eau et les saules marsault. Que de noms qui chantent ! Et derrière cette richesse, se cachent les tritons alpestres, les libellules ou encore les grenouilles rousses.
Je laisse passer un groupe de jeunes militaires en civil, sympathiques et joyeux qui grimpent rapidement le long d’un sentier en lacets. Je m’amuse bien sûr à les suivre jusqu’à la Roche du corbeau qui servait d’observatoire aux soldats allemands, toujours pendant la Première Guerre mondiale. On y voit les restes de la gare supérieure d’un téléphérique allemand et alentour, les entrées des tunnels qui communiquaient avec les abris de la Tête des Faux. Actuellement réserve paisible, arrêté de protection de biotope prévenant la disparition d’espèces protégées, ce lieu qui fut témoin de la fureur humaine, est chargé d’histoire, une histoire que transmet aux jeunes militaires attentifs un général charismatique qu’ils écoutent avec recueillement.
Sur cette crête, un fortin allemand abritait 200 hommes et un peu plus loin un fortin français en abritait sans doute autant. De décembre 1914 à février 1915, durant trois mois, les assauts ont fait près de 1000 morts.
Nous arrivons au cimetière Duchesne, ancien camp arrière français.
Et voici les vestiges de la forêt après les bombardements.
Sur cette carte le tracé bleu, nord sud, représente la ligne de front des combats dans les Vosges qui ont fait, entre juillet et octobre 1915, 10 000 tués côté français et 7 000 côté allemand… Devant un tel constat les deux camps ont cessé toute nouvelle opération et le secteur « n’a plus présenté de caractère majeur jusqu’à la fin de la guerre ».
Allégeant la solennité du lieu, les jeunes militaires souhaitent faire une photo de leur groupe. Je me propose pour déclencher l’appareil avant de m’éclipser discrètement mais ils insistent alors pour que je sois, moi aussi, sur une photo, parmi eux. Moment de communion tout à la fois sérieuse et souriante.
Je poursuis seule mon chemin sur cette large piste qui me conduit au Col du Calvaire où arrive le télésiège de la station de ski du lac Blanc.
Le GR5 grimpe à travers la forêt de hêtres, sapins et épicéas où vivent pic noir, grand tétras, gélinotte et chouette de Tengmalm ainsi que cerfs, chamois et chevreuils, toute une faune que je ne vois pas, je grimpe donc, jusqu’aux crêtes dans un paysage à couper le souffle : vue plongeante sur le lac Blanc et surtout magnificence de vastes étendues : les Hautes Chaumes.
Je vais parcourir celles-ci des heures durant, émerveillée par les silhouettes tordues des pins mugo, petits mais vigoureux, résistant aux vents et à la froidure et par les trésors de cette incroyable réserve biologique, en commençant par les carex, touffes hirsutes aux dégradés de verts, d’or et de rouge carmin. Je suis dans la réserve naturelle de Tanet-Gazon du Faing. Ici la faune et la flore, après les rigueurs et les menaces de l’hiver, sont malheureusement fragilisées en été par le piétinement, la cueillette et la fréquentation touristique.
Sur ces chaumes, la couleur rouge est le don de la « brimbelle », nom local de la myrtille où se cachent les pipits et les alouettes et la couleur pourpre celui de la callune ou fausse bruyère. Les abords du faing qui désigne ici la tourbière sont le domaine de la canneberge (de son nom anglais cranberry), des bouleaux, des œillets et des linaigrettes.
J’atteins le gazon du Faing point culminant à 1302 mètres. J’essaie de réduire mon impact sur la flore en ne quittant pas le sentier, même pour m’offrir un casse-croûte mérité au bord de ces falaises qui dominent le lac du Forlet, domaine du faucon pélerin.
D’énormes masses de glace ont sculpté ces paysages durant des milliers d’années, laissant des chaos de rochers granitiques : on pourrait se croire en Norvège !
Mon regard dirigé vers l’Est s’arrête encore sur le lac du Forlet, suit les contours sinueux de la vallée de Munster et se perd sur les lointaines lignes de crêtes, aux doux tons dégradés de bleus et de violets.
Je passe le Gazon du Faîte, puis le Ringelbuhlkopf, la drôle de « tête de la colline en cercle ». Puis je descends jusqu’au Dreieck où je croise un troupeau de vaches de la race vosgienne, excellentes marcheuses, costaudes, parfaitement adaptées aux conditions difficiles de cette montagne, à l’allure si curieuse, presqu’étrange avec leur ligne du dos blanche et leur robe mouchetée de noir. Ce sont elles qui donnent le fromage du coin, le munster, parfumé à l’odorant Fenouil des Alpes. Car ici les chaumes sont pâturés.
Je passe à travers une forêt de hêtres eux aussi adaptés aux conditions extrêmes : jusqu’à 200 jours de gel par an, un sol pauvre en nutriments et des brouillards fréquents. Une forêt, m’indique un panneau, dans laquelle se cachent Cerf, Lynx, Martre, Chouette de Tengmal, Pic noir, et Grand Tétras.
J’arrive enfin au sommet du Tanet qui culmine lui aussi à près de 1300 m, marqué par un amas de blocs de granit et l’extraordinaire profusion de brimbelles rouges. Magnifique randonnée !
Je longe encore la crête, passe un petit col et me retrouve de nouveau dans une forêt de hêtres aux troncs mangés par les mousses. De loin en loin des clairières bienvenues me permettent d’emplir mes yeux d’horizons lointains et inconnus.
Dépassée par un père taiseux accompagné de ses deux adolescents de fils qui le suivent à grandes enjambées fatiguées, je finis par atteindre, par une courte descente, le col de la Schlucht, but de cette journée exceptionnelle.
Je descends à l’hôtel du Chalet, le seul des trois hôtels du col à ne pas avoir fermé ses portes, je m’installe dans ma chambre qui donne sur ce feuillage aux couleurs vives avant de faire quelques pas dehors comme si mon corps n’était pas encore rassasié. Enfin je glisse les pieds sous la table pour m’abandonner à un repas succulent, typique de la région : des pommes de terre coiffées au munster…