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Lodève – La Tour-sur-Orb
4 juin 2020
Voici une vidéo retraçant la 70 ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Dans cette étape je grimpe sur le plateau de l’Escandorgues dans les Monts d’Orb d’où la vue s’étend jusqu’au lac de Salagou et bien au-delà vers le Golfe du Lion. Il est question d’industrie lainière, de hameaux de forestage, de cité épiscopale, du Cardinal Fleury, du château de Dio, un des monuments les plus remarquables du Moyen Age en Languedoc, de Théodebert et du castrum de Dio et ainsi que des ruffes, ces terres rouges.
Voici le texte de cette vidéo:
L’aube se lève à peine quand je me glisse sans bruit hors du California. Peu après je longe la Lergue puis passe entre les bâtiments lugubres de l’usine textile de Bouldou. C’est que, par cette « porte », j’entre dans l’industrie lainière en Languedoc, industrie qui, entre 1650 et 1900, s’épanouit à Lodève, à Clermont-L’Hérault, à Bédarieux et dans les campagnes. Un peu d’histoire : En 1716, le cardinal de Fleury, est nommé précepteur de Louis XV. Quelques années plus tard, il accorde à Lodève, sa ville natale, le monopole de la fourniture en draps pour les troupes royales d’infanterie. Dans les archives on lit que « Sa Majesté ordonne expressément à tous les régiments, de tirer leurs draps directement de Lodève et de la première main des ouvriers et fabricants ».
Longeant la Soulondres je quitte les faubourgs de la cité épiscopale et ses belles demeures en grès des riches commerçants et drapiers, pour suivre le GR 7 qui s’élève dans une magnifique forêt de pins et de feuillus.
A partir de 1962, donc à la fin de la guerre d’Algérie, Lodève a abrité un « hameau de forestage » pour loger, former et employer les familles de harkis. Les anciens harkis y étaient employés à des travaux de reboisement et d’aménagement des forêts domaniales. Les épouses des harkis, quant à elles, travaillaient dans un atelier de tissage. Bien dure vie de ces harkis négligés, maintenus dans un état d’infériorité, encadrés par des chefs de hameau, anciens militaires des sections administratives spécialisées, les SAS.
Ce sentier qui suit un des nombreux chemins de Saint-Jacques de Compostelle a rejoint une piste qui traverse une forêt de splendides cyprès. Je domine maintenant la vallée de la Soulondres et ma vue se perd au loin sur les plateaux des Monts d’Orb.
Voici la chicorée sauvage, si commune mais pleine de vertus médicinales. Elle expose ses fleurs héliotropes qui, suivant les heures de la journée, passent de ce beau bleu franc à un bleu plus tendre, puis au rose. Pour la petite histoire, au Moyen-Âge, elle était considérée comme une plante anaphrodisiaque : ses racines broyées étaient censées calmer toutes les ardeurs !
J’arrive au carrefour de la Coste Taillade d’où je repars pour une très longue montée en direction du plateau de l’Escandorgue. A mes pieds je devine le lac du Salagou et imagine, perdu dans la brume, le Golfe du Lion et même les lointaines Pyrénées. Mais là, je rêve, portée par les nuages… Je regrette d’aborder les crêtes par cette journée nuageuse, fraîche et humide. Difficile de m’abriter du vent pour avaler un en-cas, assise à même les cailloux de la piste. Je passe maintenant sous le travers de Montnier qui culmine à 618 m, rejoins le GR 653 qui débouche du nord, m’étonne au passage de la dénomination « Lacan de Nize », un plateau sous lequel des spéléologues audacieux explorent les cavités souterraines, je descends alors à travers champs, laissant à l’ouest l’étroite vallée du ruisseau de Nize, puis après une courte montée, j’arrive enfin à la petite chapelle de saint-Amans.
Je quitte les crêtes, le paysage change, soudain plus humanisé. D’ailleurs de belles vaches brunes qui, enfouies sous de hautes herbes fleuries ruminent au pied du Puëch Caubel, me snobent derrière leurs paupières mi-closes.
Sols rouges, fleurs d’églantiers ou de chèvrefeuilles, genêts surtout, animent les coteaux des Monts d’Orb au flanc desquels se sont nichés les villages de Valquières et de Dio. Les genêts dont l’or des pétales attire les pollinisateurs auront été mes plus fidèles compagnons, avec les vaches bien sûr, lors de cette traversée de la France.
Retrouvailles et pique-nique près du lavoir de Valquières puis Daniel marche à mes côtés dans cette campagne amène où les éoliennes côtoient les cabanes et murets en pierres sèches, malheureusement abandonnés.
A Dio-et-Valquières, Dian e Valquièras en occitan, une sente à l’écart de la route me permet d’arriver incognito face à cette imposante bâtisse crénelée d’apparence féodale : c’est une place forte médiévale, le château de Dio, construite au 11ème siècle au pied de l’Escandorgue. Les seigneurs de Dio l’ont habité de cette époque jusqu’à la fin du 17ème siècle en particulier le cardinal Fleury issu d’une famille de la noblesse du Languedoc. C’est d’ailleurs son père qui a modifié l’aspect du château pour en faire son château de campagne, un des monuments les plus remarquables du Moyen Age en Languedoc, classé au titre des Monuments Historiques. Vingt ans de reconstruction et de restauration ont été nécessaires pour lui restituer sa puissance.
Je m’élève sur la petite route qui mène au village pour en appréhender toute sa majestueuse stature.
Et je découvre les vestiges du Castel Vieil, le Castrum de Dio. Un panneau m’informe qu’ « en 533, Théodebert, qui sera roi d’Austrasie un an plus tard, petit-fils de Clovis et fils de Clotaire quitte sa capitale de Metz pour une expédition contre l’emprise wisigothique sur les anciennes Narbonnaise et Septimanie romaines. Après avoir soumis Lodève, la colonne armée débouche par le col des Barrières, pille et détruit le castrum qui s’élevait là avant de poursuivre vers Cabrières. Le royaume franc s’établira plus tard en Languedoc. »
Je m’éloigne et me retourne sans cesse : le château de Dio continue à s’imposer au regard.
Je m’enfonce dans les taillis du Bois de Druilles et descends jusqu’à la plaine cultivée. Les collines et les vallons sont ici de terres rouges, les ruffes. Ces grès sont le résultat d’un mélange de sédiments argileux et d’oxydes de fer en milieu aride.
La vigne et les cultures de céréales semblent s’y plaire.
A l’approche de Boubals et du Val d’Orb, je croise un troupeau de chèvres, turbulentes et comiques, qui franchissent le talus, s’éparpillent sur la route et grimpent aux arbres. J’aime vraiment ces animaux.
Ici l’ombre commun est protégé, c’est un poisson fragile : « Tout spécimen capturé devra être remis à l’eau avec délicatesse ».
Je traverse l’Orb et atteins la Tour-sur-Orb.
Puis je grimpe dans le California : ce soir nous nous installons sur l’aire de camping du Bousquet-d’Orb.