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Pardailhan – Azillanet
4 juillet 2020
Voici une vidéo retraçant la 74 ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Etape sur le plateau de la Guarrigue de Pardailhan, sur le GR 77. Dominant la plaine du Biterrois, je vois au loin le Pic du Canigou et les Pyrénées. Après la traversée de Vélieux, je m’enfonce dans les magnifiques Gorges du Brian. La vue sur Minerve accrochée à son rocher est époustouflante. Enfin je traverse le tout dernier contrefort du Massif central avant de prendre pieds sur la plaine du Languedoc, à Azillanet.
Voici le texte de cette vidéo:
6 heures, debout ! Coup d’œil aux canards de la mare qui dorment encore, cachés sous les feuillages. Coup d’œil au California où dort encore Daniel, blotti sous sa couette. Je tourne le dos à Pardailhan et m’enfonce bravement dans la forêt profonde, une forêt de châtaigniers dont les fleurs mâles, longues et blanches jonchent le sol. Le châtaignier est monoïque, ses fleurs mâles à étamines et femelles à pistil, distinctes donc, sont réunies sur le même arbre.
Au sortir de la forêt, le soleil rasant du matin embrase les frondaisons alors que les rares maisons du hameau du Pez restent pelotonnées dans l’ombre de l’aurore. Le GR 77 suit le chemin des puits et m’indique la présence de lamas hautains, ou simplement indifférents, dont la plupart sommeillent encore.
« Ecoute l’arbre et la feuille/ La nature est une voix/ Qui parle à qui se recueille/ Et qui chante dans les bois. » Comment ne pas être en harmonie avec les vers du poète, en cet instant d’enchantement ? Harmonie des bleus pâles des schistes et de ceux plus intenses de la chicorée sauvage, une astéracée encore appelée « barbe de capucin ». Harmonie des ombres démesurées et des sentiers éclatants qui montrent la voie.
Je traverse l’ouest du département de l’Hérault dans les Monts du Pardailhan, toujours dans la chaîne des Avants-Monts qui prolongent la Montagne Noire. Autant dire que je suis à l’extrémité sud du Massif Central où le climat, méditerranéen montagneux, subit l’influence des Monts de l’Espinouse que j’ai traversés deux étapes auparavant. L’endroit est venté, exposé à la tramontane provenant des massifs et soufflant vers le Golfe du Lion et au vent Marin, humide et doux, venant au contraire de la méditerranée, donc du sud.
La plus grande partie de la commune se situe sur un aquifère karstique qui retient une réserve d’eau souterraine, un milieu calcaire de grande valeur, très vulnérable qu’il faut à tout prix protéger.
Protéger le patrimoine, milieux naturels et paysages, c’est bien l’objectif du Parc naturel régional du Haut-Languedoc que je n’ai pas quitté depuis plusieurs étapes.
Le plateau de la Guarrigue de Pardailhan que je traverse est classé ZNIEFF de type 1, zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique dont l’objectif est de préserver les écosystèmes et les espèces rares.
Le navet noir du Pardailhan, issue d’une variété ancienne, le « long noir de Caluire », peau noire, chair blanc ivoire, saveur douce évoquant la noisette et le pignon, difficile à trouver tant sa culture est confidentielle : c’est le petit trésor de ce terroir !
Par les petites routes et chemins, j’ai traversé le hameau de Copujols, passé non loin du gîte équestre de la Font Sèque, descendu dans le ravin de la Cahulette, remonté jusqu’au col de Lalo et flâné sous les branches des cerisiers.
Nouveau moment magique de ma traversée de la France : voilà que je domine la plaine du Biterrois et qu’à l’horizon lointain une ligne bleue se laisse deviner… Mais oui ! Aucun doute, ce sont bien les Pyrénées ! Voyons de plus près, cette forme que je reconnais : c’est le Pic du Canigou qui se devine à peine. Voilà qui me donne des ailes supplémentaires. Je vais voler vers mon but, avaler la distance et franchir la frontière espagnole !
A chaque détour du chemin, mon regard fouille l’horizon, l’émotion se meut en joie, le rire et la gaité me gagnent. J’ai la tête pleine de musique et de soleil.
Encore un ravin franchi puis un autre, je longe le ruisseau de Barbichot, fais le détour par les gîtes du Domaine de Lacan, juste par curiosité, pour le nom du célèbre psychanalyste, renoue avec le bruit des moteurs en longeant la départementale 179, replonge dans une forêt et atteins enfin le village de Velieux, planté sur les hauteurs de la Cabanasse, à l’entrée de la faille creusée par le ruisseau de la Balmasse. J’y retrouve Daniel pour le casse-croûte de midi. C’est qu’il s’agit de reprendre des forces. La route est encore longue !
J’amorce la descente vers la plaine, croisant deux jeunes vacanciers, originaires de ce lieu qu’ils connaissent parfaitement et chérissent. Mon regard s’arrête encore sur l’horizon, et la masse nette des Pyrénées débarrassée de ses nuages, me récompense. Le doute n’est plus permis, il s’agit bien du Pic du Canigou que j’atteindrai dans sept ou huit étapes si tout va bien.
La piste a fait place à un sentier étroit qui descend doucement dans la garrigue puis dégringole dans la forêt entre deux parois qui se resserrent avec, à ma gauche, la corniche des Escayrans qui borde le causse de la Courounelle. Celui-ci fait l’objet d’une ZNIEFF. Les habitats ouverts très rocailleux de ce plateau calcaire abritent l’ail doré, la jacinthe améthyste, le fer à cheval cilié, l’hippocrépis cilié, des plantes ayant leurs organes de reproduction apparents dans le cône ou dans la fleur : ce sont des phanérogames.
Je m’enfonce dans les gorges du Brian que je surplombe sans le voir. Le Brian est un affluent de la Cesse qu’il rejoint au sud, à Minerve. Sur la rive d’en face une piste descend à une station de pompage.
C’est l’eau qui a façonné ce relief karstique typique avec ses grottes, ses galeries souterraines, ses failles. Ici le Brian au débit irrégulier a creusé un véritable canyon.
Le paysage est magnifique.
Sur le socle schisteux, la mer a déposé des couches de sédiments, un calcaire marin à alvéolines, puis des marnes riches en huitres fossiles surmontées par un calcaire lacustre à gastéropodes, lequel est recouvert de garrigue.
Après un long passage en vire, le sentier en éboulis, sort de la faille, s’élève en longeant la falaise et débouche sur l’immensité du plateau boisé e ou planté de vignes. Mon regard se perd bien au-delà du Minervois et de la plaine du Languedoc, je vois jusqu’aux Corbières contrefort des Pyrénées.
Quand je m’approche de la faille, les vues deviennent époustouflantes.
Bientôt, j’aperçois les premières maisons de Minerve et je ne cesse de m’émerveiller. Je ne m’attendais pas à découvrir un tel tableau.
Le village est perché sur son éperon rocheux, véritable presqu’île, à la confluence des gorges du Brian et de la Cesse. Ici, l’érosion a échancré le plateau jusqu’à son socle d’âge paléozoïque, anciennement appelé ère primaire.
Le lieu est extraordinaire. D’ailleurs Minerve fait partie des « Plus beaux villages de France » et l’ensemble « Cité de Minerve, Gorges de la Cesse et du Brian » a reçu tout récemment le label « Grand site de France ». Je lis en effet qu’ « au-delà de la seule cité médiévale, l’environnement formé par les entailles des gorges, les ponts naturels, les paysages de causse où alternent la garrigue, les vignes, la pierre sèche, et de nombreux vestiges archéologiques, forment un ensemble d’une valeur patrimoniale exceptionnelle. »
Le passé médiéval de la ville retient aussi l’attention pour le drame qui s’y joue au cours de l’été 1 210. A cette époque une nouvelle religion s’exprime, le catharisme. Elle ne plaît pas au pape qui lance une croisade, la première et seule en terre chrétienne. Le Vicomte de Minerve avait accueilli avec bienveillance des Cathares dans sa ville qui malheureusement a un point faible, l’approvisionnement en eau. Le redoutable Simon de Montfort le sait, il attaque en été en catapultant de gros rochers sur le pont qui mène au puits pour le démolir. C’est la soif qui a raison des minervois. Simon de Montfort promet de laisser la vie sauve à tous les villageois qui acceptent d’abjurer leur foi mais ceux-ci refusent. Renoncer à leur propre religion ou périr dans les flammes. Ils ont choisi : cent quarante d’entre eux vont brûler vif. C’est le premier bûcher collectif du début de la croisade.
Daniel me retrouve vers le château et le pont-levis qui défendait l’accès au village, lequel est cerclé de remparts. Nous flânons dans les ruelles médiévales, nous arrêtant parfois devant les échoppes modernes avant de nous délasser devant des crêpes tout à fait délicieuses.
Je pourrais m’arrêter ici mais je ne suis pas fatiguée. Je pense aussi que c’est ce soir que je termine cette courte section et comme souvent, j’anticipe la suite. Or pour atteindre mon but, il me reste une douzaine d’étapes que je sais d’avance être particulièrement longues. Autant avancer et profiter de ces heures douces de fin d’après-midi.
Je repars donc en empruntant le pont moderne aux hautes arches qui enjambe la Cesse puis le sentier qui s’élève rapidement pour rejoindre le plateau. Je me retourne encore et encore pour admirer ce navire de pierre du bout du Causse.
Le nez au vent, je savoure la traversée de ce dernier contrefort du Massif central avant de prendre pieds sur la plaine du Languedoc. Vignes, oliviers, genévriers, thym, chênes verts, chêne kermes et pour finir une belle forêt de pins m’accompagnent jusqu’au village d’Azillanet. J’y retrouve Daniel au pied de l’église. Un village que, j’espère, je retrouverai fin août, dans moins de deux mois.
Nous nous installons au camping d’Azillanet avant de rejoindre Toulouse demain matin.