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Bourbonne-les-Bains – La Chapelle de Presles
(Varennes-sur –Amance)
Mardi 22 mai 2018
Voici une vidéo retraçant la 25ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Dans cette étape, le GR7 quitte la ville thermale de Bourbonne-les-Bains, traverse prés et forêts. Il est question d’arbres avec Francis Hallé et son livre « La vie des arbres » et avec Peter Wohlleben qui s’interroge dans son livre « La vie secrète des arbres » sur la reproduction des arbres: samares des charmes, des frênes, érables ou tilleuls. Hommage à Marcel Arland, académicien et auteur du roman Terre Natale à Varennes-sur-Amance.
Voici le texte de cette vidéo:
C’est sous un ciel splendide que nous traversons la ville thermale de Bourbonne-les-Bains dont les eaux bienfaitrices promettent de soigner rhumatismes et autres maux.
Nous longeons bientôt le parc animalier de la Bannie qui abrite cerfs, paons, daims et canards… Peu après, Daniel fait demi-tour me laissant poursuivre à travers le Bois de la Réserve avec comme seuls compagnons ces deux premiers moutons dont le petit adorable, clone parfait de sa mère, me fixe de ses yeux peureux et intrigués. Jeune agnelle ou jeune agneau ?
Mais chut, voici ses cousins et cousines…
Voici bien des chasseurs qui ont le don de prendre le pouvoir par ici ! « Tous les jours sauf mercredi » ! Et à vous les marcheurs de vous protéger !…
Francis Hallé, dans son livre « La vie des arbres », explique pourquoi il éprouve de la sympathie pour les arbres. Je le cite : « Il s’agit du contraste extraordinaire entre le peu dont ils ont besoin et l’énormité de ce qu’ils réalisent. Que faut-il à un arbre ? C’est facile à trouver, c’est trivial : de l’eau, quelques éléments minéraux qui se trouvent dans l’eau et dans le sol, de la lumière et du gaz carbonique CO2. Or, ce dernier, comme vous le savez, non seulement nous n’en manquons pas mais nous en avons de plus en plus. Comment voulez-vous imaginer un être vivant plus frugal, plus modeste dans ses besoins ? » On sait bien sûr que le CO2, ce gaz à effet de serre est beaucoup trop abondant et il est en grande partie responsable du réchauffement de la planète. Un peu plus loin Francis Hallé poursuit : « l’arbre est un amoncellement de polluants atmosphériques qui viennent de l’air. Il prend dans l’air le polluant dont je vous parle, le gaz carbonique. Bien entendu, il fait un prélèvement sur le sol, mais c’est de l’ordre d’une cuillère à café, pas plus. L’essentiel lui, vient d’une épuration atmosphérique, on peut d’ailleurs tout à fait comparer un arbre à une usine d’épuration. »
Sur cette photo on voit nettement les traces d’un ongulé, sans doute celles d’un chevreuil.
Le sentier débouche finalement sur des prairies, longe en contrebas le village de Coiffy-le-Haut qui s’étale sur sa crête et domine enfin le hameau des Granges du Val où Daniel me rejoint pour un repas de midi bien mérité.
Un panneau m’indique quels sont les oiseaux qui vivent dans cet environnement. Certains ont des noms qui chantent : la Caille des prés, la Grive musicienne, la Sitelle torchepot ou le Troglodyte mignon… Mais sont-ils menacés ? Ces dernières années on semble entendre beaucoup moins de chants d’oiseaux dans nos campagnes.
Ecoutons Peter Wohlleben qui s’interroge dans son livre « La vie secrète des arbres » :
« Quelles sont les chances des enfants-arbres d’accéder à l’âge adulte et de se reproduire à leur tour ? Le calcul est simple. D’après les statistiques, un arbre engendre un seul et unique successeur, lequel prendra sa place le moment venu. D’ici là, des graines vont germer, de jeunes descendants vont grandir puis végéter à l’ombre quelques années, voire quelques décennies, jusqu’au jour où ils vont rendre leur dernier souffle…
Mais revenons aux statistiques. Un hêtre produit au moins 30 000 faînes tous les cinq ans…. Et donc il produit au moins 1,8 millions de faînes au cours de sa vie. Sur ce 1,8 millions, une seule deviendra un arbre. Tous les autres embryons sont soit mangés par des animaux, soit transformés en humus par des champignons et des bactéries ».
Et pour un peuplier c’est bien pire : « La mère-arbre produit plus d’un milliard de graines au cours de sa vie. Et là comme ailleurs, les statistiques sont impitoyables, il n’y aura qu’une seule gagnante. »
Voici un charme avec ses fruits regroupés en grappes appelés samares.
Et là, voici un frêne dont les samares sont aussi appelées « langues d’oiseau » à cause de leur forme. Ces samares très nombreuses sont regroupées en grappes retombantes. La samare ne contient qu’une seule graine, l’autre avortant systématiquement. Son aile permet une dissémination facile par le vent.
Enfin voici un érable champêtre. Son fruit constitué d’une double samare est lui aussi un akène, c’est-à-dire un fruit sec. Ses deux ailes lui permettent de se déplacer verticalement ou horizontalement et de parcourir des distances considérables, tel un véritable hélicoptère !
Pour le tilleul, le fruit que nous voyons ici deviendra un akène globuleux en juillet.
Le GR longe le Val de la Maljoie en suivant une petite route le long de laquelle poussent toutes sortes de fleurs jaunes. Est-ce un hasard si les floraisons printanières sont souvent jaunes ?
Je traverse le village de Chézeaux complètement désert en ce moment. Pas un chat !
Je dois suivre maintenant une longue départementale toute droite en ayant pour point de mire le sommet d’une colline qu’il me faudra gravir et sur laquelle s’étire le village de Varennes-sur-Amance. Ce dernier village forme, avec Chézeaux la commune de Terre Natale.
Ce nom est donné en hommage à Marcel Arland, académicien et auteur du roman Terre Natale, évocation pudique des souvenirs de son passé dans ce village. Ecoutons-le.
« Même à midi, la cuisine restait sombre. Tout le jour de la rue s’amassait en vain devant l’étroite fenêtre ; je ne la vis jamais ouverte ; de vieux rideaux d’alcôve et des pots d’hortensias la réduisaient encore. Et comme la pièce était longue et déclive, tous les degrés de la pénombre s’y succédaient jusqu’aux angles du fond, où quelque reste de la nuit passée semblait attendre la nuit prochaine.
J’aimais cette pénombre, et cette pièce aux plafonds noirâtres, aux murs humides, au parquet de terre battue.
Je m’y enfermais à peine libre, l’été surtout, quand les gens avaient gagné les prés ou les genévrières… »
Ecoutons encore Marcel Arland :
« Et me voici dans la rue. Jour d’école ou de congé, n’importe. Je marche, je baisse un peu la tête, je ne regarde personne ; mais le village et le ciel sont tout autour de moi et m’abritent. Une porte se ferme. Je me penche sur un lavoir encore désert où la fraîcheur de la nuit semble réfugiée. J’entends s’élever d’une grange la plainte sans fin d’une batteuse. Une joie brusque m’envahit. Quelle légèreté dans l’air ! Quelle tendresse en moi ! C’est par des matins pareils que l’on conquiert le monde ou que l’on meurt pour sa foi. »
Marcel Arland de nouveau :
« Je n’oublie pas les grands lieux : l’école, et mon cher instituteur, avec son bedon majestueux et son visage enfantin, sa grosse moustache et sa bonté ; l’église, où la vierge bleue écrasait un serpent, où l’on entendait hurler le bedeau et gémir la demoiselle de l’harmonium, où l’on nous parlait d’un Dieu qui ne m’était pas inconnu ; le cimetière enfin… »
Peu de clients sans doute dans ce petit bar dont les patrons ne manquent pas d’humour car Au bar masqué, Dieu ne regarde pas l’enveloppe et confie aux plus misérables vases le vin le plus rare.
Je veux poursuivre mon chemin. Mais, donner comme nouveau lieu de rendez-vous la Chapelle de Presles à Daniel est délicat car elle est certainement difficile à trouver. Nous décidons d’y aller ensemble avec le petit bus. Nous la dénichons au fond d’un joli val, au bout d’une petite route en cul-de-sac, après un long détour. Rien de gagné encore : pas de GR visible. Nous finissons par le trouver. Daniel me quitte alors de nouveau pour retourner m’attendre à Varennes-sur-Amance et moi j’emprunte ce GR vers le nord-est, on pourrait dire « à contresens », en m’enfonçant dans la forêt. Je traverse un premier ruisseau, grimpe sur un premier plateau par une route forestière, dégringole au fond d’un vallon pour traverser le ruisseau de Bouillevau, grimpe sur le flanc opposé pour atteindre le bois des Euillards, redescends jusqu’au ruisseau de Pré Soir avant de fournir un dernier effort pour atteindre enfin Varennes-sur-Amance où je retrouve et Daniel et le petit bus. C’est assez loin d’ici que nous passons la nuit dans un camping qui domine le Réservoir de la Liez.