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Azillanet – La Redorte
28 août 2020
Voici une vidéo retraçant la 75 ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Dans cette étape sur le GR 77, je rejoins le canal du midi vers Olonzac, capitale du Minervois. Ce « canal des Deux-Mers » long de 240 km de Toulouse à l’étang de Thau est l’œuvre de Pierre-Paul Riquet soutenu par Colbert et ouvert en 1681. Un ouvrage incroyable inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, objet d’un programme de restauration du paysage après la destruction des platanes atteints par la maladie du chancre coloré. A La Redorte, autre ouvrage magnifique construit par Vauban, l’épanchoir de l’Argent-Double.
Voici le texte de cette vidéo:
Trop excitée à l’idée de parcourir cette dernière section pour atteindre mon but, j’ai bien mal dormi cette nuit. Mais quelle importance ! Rappelons-nous, début juillet dernier, je dévalais les tout derniers contreforts du Massif central pour rejoindre un petit village perdu, Azillanet, situé dans la plaine du Languedoc. Je dois donc m’y rendre. Cette fois-ci pas question de California. Daniel ne m’accompagne pas. J’ai donc préparé soigneusement cette journée de jonction. Premier train Lyon – Narbonne, deuxième train Narbonne – Lézignan Corbières, enfin Taxi : Lézignan Corbières – Azillanet ! (Ce dernier trajet me coûtant davantage que les deux précédents réunis.)
Le chauffeur m’ayant déposée au pied de l’église vers 13 h30, j’ai une grande après-midi devant moi. Mais d’abord je m’installe sur un muret de pierres, face aux vignes, pour savourer mon pique-nique que je n’accompagne pas de Minervois, ce vin prometteur, d’appellation d’origine contrôlée dont je retiens, je parle du rouge, qu’il dégage des notes de fruit noir, de pruneaux donc, de violette et quelquefois de cannelle !
Le temps est bien maussade ; il n’entame pas pour autant la joie de me retrouver ici.
Je me suis donc élancée plein sud, d’abord le long de jardins potagers puis au milieu des vignobles avant d’arriver en catastrophe sous la pluie aux abords d’Olonzac, la capitale du Minervois. Ma cape de vélo, antique, me laisse trempée jusqu’à l’os. Je l’étale cependant avec tendresse sur le dos d’une chaise car à Olonzac, oui, dans cette capitale, je trouve un bistrot!
Le GR 77 rejoint rapidement le canal du midi près de Homps, ce « canal des Deux-Mers », celui qui relie la mer océane à la mer méditerranée, 240 km de long de Toulouse jusqu’à l’étang de Thau. A Toulouse il rejoint la Garonne et se poursuit jusqu’à Bordeaux par le canal latéral de la Garonne, et à l’autre extrémité il se jette dans l’étang de Thau dont la traversée de 16 km permet de rejoindre le canal de Sète.
Le seuil de Naurouze à près de 200m d’altitude, seuil de partage des eaux est déjà connu de l’Antiquité. Sous le règne de François 1er l’idée d’un canal se fait jour mais ce n’est qu’en 1662 que Pierre-Paul Riquet qui a étudié en détail l’hydrographie de la Montagne Noire, présente son projet de canal des deux mers à Colbert.
Peut-on amener suffisamment d’eau jusqu’au seuil de Naurouze pour alimenter le canal ? Une rigole d’essai est un succès total. En 1666 l’édit royal de Louis XIV ordonne la construction. En 1671, la partie atlantique du canal est mise en eau. La première navigation officielle de Toulouse à Sète a lieu dix ans plus tard, en mai 1681 quelques mois après la mort de Riquet et deux ans avant celle de Colbert.
Vauban supervise des travaux supplémentaires comme le percement du tunnel sous la commune de Cammazes pour amener les eaux de la rigole dans le bassin de Saint-Ferréol, la véritable source du canal.
Depuis plus de trente ans, c’est le tourisme fluvial qui a remplacé le trafic commercial.
Voilà donc pour cette réalisation incroyable, inscrite au patrimoine mondial de l’humanité en 1996.
Un mot sur la restauration du paysage du canal du midi. Les alignements de platanes sont menacés par la maladie du chancre coloré, une maladie fulgurante au fort pouvoir de propagation, provoquée par un champignon microscopique importé des Etats-Unis en 1944 lors du transport d’armes dans des caisses de bois infectées par le parasite. Cette maladie cryptogamique s’est propagée dans tout le sud de la France et atteint maintenant les départements de l’Ain et de la Savoie. Heureusement un hybride résistant a été mis au point par un Directeur de recherche de l’INRA et remplace peu à peu les platanes qui succombent au chancre coloré.
Voies navigables de France replante encore et encore peuplier blanc, chêne, micocoulier, pin d’Alep, tamaris ou encore mûrier blanc redonnant au canal son aspect initial, avant la plantation de platanes. Ainsi qu’une nouvelle biodiversité.
J’arrive à l’écluse de Jouarrès, laissant Béziers dans mon dos et Carcassonne puis Toulouse devant moi.
Le temps se dégrade. Vais-je subir l’orage ?
Le tonnerre gronde quand j’arrive à l’épanchoir de l’Argent-Double, cette petite rivière qui prend sa source dans la Montagne Noire et qui peut se transformer en torrent quand il y a orage justement. Eh bien, le canal du midi la traverse sur un pont-canal ! Un ouvrage étonnant et magnifique conçu par Vauban: lorsque le canal est trop plein, l’eau se déverse en cascade dans l’Argent-Double, au niveau des arches. Ce pont-canal est donc un déversoir mais il est aussi un épanchoir. En effet, une vanne de fond permet aussi d’évacuer l’eau par le fond.
Je suis les grandes boucles du canal jusqu’à l’entrée du village de La Redorte où je m’arrête ce soir dans la maison d’hôtes La Marelle. J’arrive sous une pluie battante. Je décide alors d’acheter un rouleau de sacs de poubelle de 50 litres, à défaut d’une cape de pluie ! Puis je mets les pieds sous la table à l’Artifice, la petite pizzeria du coin avant de me glisser sous la couette. Je veux bien croire en mes rêves. Pour l’instant l’un de ceux-ci est d’atteindre les Pyrénées et la frontière espagnole. Un rêve simple aux couleurs de ce bel arc-en-ciel.