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Nant – Le Caylar
6 septembre 2019
Voici une vidéo retraçant la 68 ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Dans cette étape, quittant Nant et son abbatiale, laissant la vallée de la Dourbie derrière moi, je grimpe sur le légendaire Causse du Larzac, le plus vaste et le plus méridional des Causses dits « majeurs ». Toujours dans le département de l’Aveyron, je marche sur le territoire des Causses et Cévennes, patrimoine mondial de l’UNESCO, espace naturel protégé par la Charte du parc naturel régional des Grands Causses. Plateau karstique, pelouses sèches, agropastoralisme, lavognes, doline ou poljé, Ophrys et mouvement de désobéissance civile non-violente des années 70 en font un lieu mythique.
Voici le texte de cette vidéo:
Aujourd’hui encore, la journée s’annonce lumineuse. Coup d’œil sur le parc de la mairie, les halles endormies, la massive abbatiale Saint-Pierre : à propos de celle-ci, les moines de Nant, qui dépendaient de l’expansionniste abbaye Saint-Victor de Marseille, réclament leur autonomie. Innocent II finit par accepter la requête de son prieur et, en 1 135, le pape élève le prieuré en abbaye.
Voici une touffe de Pérovskia éclatante dans le soleil, la sauge de Russie que l’on nomme encore lavande d’Afghanistan mais qui n’a que la couleur et non le parfum de notre lavande.
Mon chemin s’élève doucement, m’offrant par de-là les champs de chicorée de belles vues sur la ville bâtie sur les rives de la Dourbie laquelle se faufile entre le Causse Noir à droite et le Causse du Larzac que je vais arpenter jusqu’à Lodève, toujours à travers le département de l’Aveyron.
Le voici ce Causse légendaire, cet immense plateau du sud du Massif Central, le plus vaste et le plus méridional des Causses dits « majeurs » qui sont au nombre de sept. J’aurai traversé successivement le Causse du Sauveterre, le Causse Méjean, le Causse Noir et donc maintenant le Causse du Larzac, laissant hors de ma route le Causse Comtal, le Causse de Sévérac et le petit Causse Rouge.
La vie, les formes et les couleurs s’animent : cynorhodon, scarabée crache-sang, à l’allure flegmatique et noble. Curieux petit animal qui ne peut pas voler, éternel marcheur donc qui se nourrit presque exclusivement de gaillet et capable, en cas de dérangement, de faire le mort puis d’émettre un liquide rouge-orangé d’un goût exécrable pour ses prédateurs…
Je laisse sur ma droite la curieuse colline de Saint-Alban qui abrite en son sommet un ancien ermitage et grimpe résolument sur le plateau. Je suis sur le territoire des Causses et Cévennes, inscrit depuis 2011 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Souvenons-nous que cet espace naturel est protégé par la Charte du Parc naturel régional des Grands Causses.
Je traverse de grands espaces ruraux où l’agriculture est largement liée au pastoralisme. Ici c’est le domaine des troupeaux de brebis.
Le sol calcaire est pauvre, squelettique, recouvert d’une pelouse xérophile ; l’eau de pluie s’infiltre immédiatement, elle est rare. Ces contraintes fortes obligent les bergers à transhumer en fonction de la disponibilité des ressources.
Les moutons parcourent donc ces pelouses sèches, espaces d’herbes et d’arbustes, s’accommodant de la pauvreté de la végétation. Parallèlement, les éleveurs qui sont aussi agriculteurs produisent du foin et des céréales pour compléter l’alimentation de leurs bêtes.
Dans le même temps et c’est fondamental pour la biodiversité, ces troupeaux entretiennent les espaces naturels et aussi, bien sûr, les paysages. On peut dire que « brebis et pâturages veillent l’un sur l’autre : les pâturages nourrissent les brebis qui empêchent l’embroussaillement ».
Cet agropastoralisme, qui est l’héritier de traditions très anciennes, est unique en Europe.
Voici une mare de forme conique maçonnée sur une couche d’argile. C’est une lavogne ; elle recueille l’eau de pluie et la conserve pour les troupeaux leur servant d’abreuvoir.
Ce plateau est karstique ; de loin en loin affleure le sol calcaire creusé de lapiaz. Ceux-ci sont formés par le ruissellement des eaux de pluie qui dissolvent la roche ou encore par l’action du gel et du dégel, la cryoclastie : l’eau devenue glace augmente de volume et exerce des pressions, fragmentant la roche.
De loin en loin aussi, des cultures s’immiscent au creux de ces étendues hostiles car dans de petites dépressions, doline ou poljé, une terre fertile permettant le labour s’est accumulée au fil du temps.
Mais pourquoi donc le Larzac est-il mythique ? D’autant plus pour les personnes qui ont fêté leurs vingt ans dans les années 70 ?
C’est que dans cette décennie, le Larzac a focalisé les jeunes énergies autour d’un mouvement de désobéissance civile non-violente. Le ministre de la défense voulant agrandir le camp militaire de La Cavalerie, le faisant passer de 30 à 70 km2, une centaine de paysans se soulèvent pour lutter contre l’expropriation de leurs terres. « Pas un agriculteur ne sera chassé contre son gré… ». C’est le « serment des 103 », un pacte de solidarité. Convergent alors entre 60 000 et 100 000 personnes de tous les coins de France et d’Europe et d’ailleurs pour les soutenir, «chevelus, marginaux et hippies de tout poil » se mêlent aux révolutionnaires du Chili ou de Grèce … Avec le soutien de l’évêque de Rodez…
S’ensuit une guerre d’usure contre les pouvoirs publics qui finit par payer et cet immense mouvement deviendra le terreau du mouvement altermondialiste français.
Sérieux et joyeusetés se mêlent : En octobre 1972, soixante brebis défilent sur les pelouses du Champ-de-mars : tournage publicitaire pour le roquefort. expliquent leurs propriétaires aux gendarmes mobiles effarés. Certaines scènes ne manquent pas de piquant, par exemple des paysans, chrétiens pratiquants, s’étranglent devant de jeunes et jolies femmes baladant allègrement leurs seins nus…Quant à l’encre qui sert à marquer les moutons, on la retrouve sur le blindage des chars : « Faites labour, pas la guerre » !
Le GR 71D emprunte sur plus d’un kilomètre rectiligne l’ancienne voie ferrée Tournemire (près de Roquefort)-Le Vigan dans le Gard, construite en 1896, abandonnée en 1960 … puis remise en état par l’armée dans le cadre de l’extension du camp militaire du Larzac, avant d’être définitivement abandonnée en 1981 !
Un panneau m’informe que sur les Causses, « la fleur de l’Ophrys imite la forme, la pilosité, la couleur et l’odeur d’insectes femelles, trompant ainsi les mâles qui assurent malgré eux la fécondation de la fleur » ! Singulières orchidées qui poussent l’art du mimétisme à la perfection !
A la Baraque Froide je m’écarte du GR et traverse le hameau de Cazejourdes, ou Casa Jordani, la maison des Jourdains avant de faire une halte pique-nique, de passer non loin du domaine de Gaillac où paissent de magnifiques chevaux et d’affronter un vent violent qui souffle avec fureur sur ces étendues sans obstacles.
Passant devant une bergerie, que dans les causses on nomme jasse, puis devant une ferme caussenarde, mon chemin rocailleux finit par buter sur une véritable citadelle, La Couvertoirade. Devant moi s’élèvent les remparts de la Cour neuve, construits au 15ème siècle pendant la guerre de Cent Ans, pour protéger le village des pillages, par les chevaliers Hospitaliers. Je pénètre par le porche nord et la magie opère immédiatement. Son classement parmi les « Plus beaux villages de France » n’est pas surfait. Je grimpe jusqu’au château des Templiers puis fais le tour des remparts.
Un peu d’histoire : au 12ème les moines-soldats de l’ordre des Templiers, un ordre religieux et militaire, s’installent sur le plateau du Larzac. Ils ont reçu des dons sous forme de terres qui vont permettre d’entretenir les chevaliers templiers en Terre Sainte, à Jérusalem. Ils bâtissent ce village et d’autres aux environs. Quand l’Ordre du Temple est supprimé en 1312, ce sont les Hospitaliers qui, pendant cinq siècles, vont gérer ces terres et ces bourgs, fortifiant ceux-ci pour protéger la population.
Je quitte à regret ce lieu en jetant un dernier regard en arrière, pour retrouver un long sentier aride à travers buis et genévriers, longeant champs et murets de pierres sèches. Mon regard se perd au loin vers l’est sans doute sur les environs de Navacelles et de son cirque.
Enfin, passant devant une lavogne restaurée, parfaitement circulaire, j’atteins le village du Caylar, but de ma journée. Sur la place, un orme champêtre atteint par la graphiose a retrouvé une deuxième vie : le sculpteur Michel Chevray sculpte son tronc y évoquant la vie sur le plateau, berger, faune, flore, brebis…
Je m’arrête à l’hôtel du Rocher, avise le restaurant le plus proche et avale un honnête repas, perdue dans mes pensées : c’est maintenant que prend fin cette section de dix jours lors de laquelle, partie de Saint-Flour, j’ai traversé l’Aubrac et les Causses pour finir ici, au Caylar. Demain, retour par le bus et le train vers Lyon et sa civilisation…