81- Joch – Valmanya

Written by Claude CAMILLI

Joch – Valmanya

Jeudi 3 septembre 2020

Voici une vidéo retraçant la 81ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.

Me voici au pied des Pyrénées, au pied de la montagne emblématique de la Catalogne française, le Pic du Canigou. Je grimpe sur ses contreforts, passe au Pic Marbet puis remonte la sauvage vallée de la Llentilla jusqu’à Baillestavy. Dans l’église romane de Sant Andreu, une exposition sur l’exploitation du minerai de fer est passionnante. Par les flancs de l’Avetosa, je rejoins le village martyr de Valmanya où les 1er et 2 août 1944, des troupes allemandes, informées de l’emplacement du maquis, mènent une opération de représailles sur le village.

Voici le texte de cette vidéo :

La propriétaire de la maison d’hôte « Fleur de Conflent » nous a préparé un petit-déjeuner copieux que nous prenons ensemble.  Son âne, dans le champ voisin, ne cesse de braire, l’appelant sans doute pour la saluer ou peut-être plutôt parce qu’il a faim.

Le soleil n’est pas levé quand je quitte le Mas Rubi mais il ocre l’horizon, plongeant la nuit dans la lumière et la pâle lune vers son invisibilité provisoire.

Il est devant mes yeux le massif tant attendu, la montagne emblématique de la Catalogne française, le Pic du Canigou, qu’il va me falloir bientôt aborder par l’arête d’un de ses contreforts.  Plus tard dans la matinée, je passerai un col,  basculant sur les flancs pentus de l’étroite vallée de la Lentilla que je remonterai presque jusqu’à sa source et qui me plongera dans le cœur du massif.

Mais pour l’instant, je traverse le village de Finestret qui garde justement l’entrée de cette vallée (je suis toujours bien sûr dans le pays catalan). La rivière traversée, un escalier marque le départ du GR 36 qui rejoint une piste. Celle-ci s’élève rapidement à travers forêts et vignes.

 La montée me réserve des vues lointaines sur les collines que j’ai traversées hier, en direction du nord donc, au loin sur le Fenouillèdes et plus proche de moi sur la vallée du Têt. A mes pieds s’étire le village fortifié d’Espira-de-Conflent. Les haute et moyenne vallées de la Têt correspondent à la région du Conflent, qui, comme ce nom l’indique fait référence à la confluence de la Têt et de ses affluents.

Je foule la ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique) de type II « Massif du Canigou » dont l’exposition dominante est nord. Ici la forêt est la formation végétale la plus abondante. Le sentier traverse des bois thermophiles de Chêne vert et de Chêne pubescent, des maquis à Ciste à feuilles de Laurier et des landes à Callune. J’atteins bientôt le Pic Marbet à plus de 700m d’altitude. Je franchis le col et bascule vers la longue et col et bascule vers la longue et très sauvage vallée de la Llentilla que je vais remonter jusqu’à Baillestavy, Vallestavia en catalan.En face, sur le flanc opposé, je devine la route taillée dans la paroi qui elle aussi, progresse bravement, de virage en virage. Ma vue se perd dans la molle succession de crêtes et de thalwegs mais à mes pieds les à-pics sont impressionnants.

A force de progresser de ravine en ravine, de ruisseau en ruisseau, de correc en correc, je finis par rejoindre le lit de la Llentilla aux eaux fraîches et claires. Un châtaignier profite de leur présence pour s’épanouir.  Je lis que, dans cette ZNIEFF, les ripisylves, ces forêts le long des cours d’eau, comprennent notamment deux habitats d’intérêt communautaire, des « Galeries d’Aulnes pyrénéo-catalanes » et des « Forêts de frênes et d’aulnes fontinales ».

L’église romane de Sant Andreu de Vallestavia avec son clocher-mur et son toit de lauzes, mentionné dès 1011 comme propriété de l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa, abrite une exposition particulièrement intéressante qui mérite la longue halte que je m’apprête à faire. Plantée à côté de son cimetière, restaurée avec soin, on ne soupçonne pas qu’elle repose sur un amas de scories de fer, un ferrier, que l’on date du 2ème avant au 1er s. après J-C.

C’est dans la région du Canigou que les gisements de minerai sont les plus importants : Présence d’or, de plomb argentifère, de cuivre mais surtout de fer.

Les gros ateliers antiques, romains, sont progressivement abandonnés, sans doute à cause des troubles politiques et de la pénurie de bois. Dans le Haut-Moyen-Âge les ateliers sont plus modestes, davantage dispersés et installés en altitude, dans des zones de montagne plus inaccessibles.

Réduire le minerai, fabriquer les outils, les ferrures, les clous, les armes et réparer ceux-ci nécessitaient trois types de forges. Ces ateliers évidemment proches des mines étaient aussi des lieux de vie et occupaient une main- d’œuvre considérable : mineurs, charbonniers, forgerons, et autres ouvriers nécessaires aux tâches annexes. Au 18ème siècle par exemple, aux côtés des 8 ouvriers de l’usine du hameau de la Farga bâti près de la rivière, jusqu’à 160 personnes étaient employées.

Voici le hameau médiéval de la Torre, l’autre hameau de Baillestavy. Celui-ci est construit sur un piton rocheux là où la vallée s’élargit légèrement. Il est dominé par son imposante église du 17ème siècle. Je décide de pique-niquer là, face à la haute vallée qui s’étire jusqu’au Coll de Pallomeres. Partout autour de moi les pentes boisées grimpent jusqu’à plus de 1400 m. Partout des forêts de chênes verts, de chênes pubescents, de hêtres, échelonnées sur les pentes. Quelques peupliers aussi près de la rivière. Et quelques rares prés qui ont échappé à la progression de la forêt. L’endroit est sauvage et presque intimidant.

Je jette un dernier regard vers le clocher fortifié de Saint-André que je laisse en contrebas, dernier repère qui me relie aux hommes, avant de m’élancer bravement à l’assaut des flancs de l’Avetosa. Au détour du chemin, quand la forêt me laisse l’entrevoir, je scrute la basse vallée que j’ai parcourue ce matin depuis Finestret, la « petite fenêtre », le petit passage entre les rochers où débouche la Lentilla, sans doute vers l’emplacement de cet horizon bleuté. Le correc d’en Carbonell forme une vasque rafraîchissante dont la végétation abondante profite : hêtres, châtaigniers, bruyère. Quelle profusion de couleurs, les verts, printaniers, clairs et légers, estivaux, plus sombres presque noirs mais aussi les bruns et les ocres des feuilles qui jonchent le sentier et annoncent les prémisses de l’automne.

J’avance ainsi jusqu’à une première borne nommée Massanet 886 m. Plus loin, il y en aura une seconde, Massanet 1000 m, deux jalons posés là, qui sait,  par une âme charitable, émue peut-être par le désarroi du randonneur livré à sa solitude.  Cherchant à tout prix  à revoir ma vallée, j’enjambe sans précaution rochers et callunes, branchages et ronciers et me retrouve la cuisse joliment ensanglantée. Bravo ! Cela m’apprendra à vouloir voir toujours plus loin ! Allons, je repars sur l’aimable sentier soudainement plus humain, passe au Massanet 1000 et débouche sur un replat herbeux, face à de sublimes montagnes bleues qui m’ensorcellent, magie de l’altitude et de la chaleur estivale.

Insensiblement le sentier a changé son orientation. Dernier coup d’œil aux crêtes sombres  qui m’ont accompagnée jusqu’alors, place à de nouvelles lignes affirmées et majestueuses : le Pic Gallinas et la Serra del Roc Negre, couleur d’étang et d’encre bleue me font face et avec eux, les parfums nouveaux et la chaleur exquise de l’adret m’étonnent et me ravissent. Par-delà ces pins qui ont colonisé la pente, s’annonce le sommet du Canigou, invisible encore, mais pas de doute, ce col au fond, c’est la Portella de Valmanya. Tandis que là-bas en contrebas, au creux douillet de la vallée, derrière ces insolites chênes truffiers, se serrent les hautes  maisons de Valmanya.  Rien ne presse, je prends le temps de savourer la descente.

Proche de l’église, le gîte d’étape le Roc de l’Ours m’accueillera ce soir. Je passe la fin de l’après-midi à converser avec une adorable vieille dame, élégante et digne, qui m’accueille sur sa terrasse et m’offre de quoi me rafraîchir. Elle me raconte ses grandes randonnées à travers sa montagne natale et, remontant dans son passé, l’histoire de la tragédie du 1er et 2 août 1944.

Le réseau Sainte-Jeanne a pour activité principale de faire passer la frontière à des personnes qui cherchent à rejoindre l’Espagne.

En juillet 1944, le maquis FTP, Francs-tireurs et partisans, Henri Barbusse, composé de résistants français et de guérilleros espagnols, s’installe dans les anciennes mines de fer de la Pinosa au-dessus de Valmanya.

Les 1er et 2 août 1944, des troupes allemandes, informées de l’emplacement du maquis, mènent une opération de représailles sur le village.

En retardant les Allemands et les miliciens, le maquis permet à la population de fuir dans la montagne, mais Valmanya est finalement pillée et incendiée par les troupes allemandes. Quatre habitants qui n’avaient pas pu fuir sont abattus, une jeune femme est martyrisée.

Sophie, qui tient le gîte, est aussi bergère. Elle revient de Batère où elle est allée compter ses moutons et vérifier qu’ils se portent bien. Dans sa cuisine, je mange le repas qu’elle m’a acheté et préparé. Elle s’assure avec gentillesse que rien ne me manque et me conseille vivement de passer la nuit demain au refuge de Batère… et de ne surtout pas manquer de goûter à sa spécialité au fromage de brebis.

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