80- Ansignan – Joch

Written by Claude CAMILLI

Ansignan – Joch

Mercredi 2 septembre 2020

Voici une vidéo retraçant la 80 ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.

Laissant avec regret mon hôtesse russe Svetlana et son village d’Ansignan, je grimpe, face aux montagnes de Fénouillèdes, jusqu’au col Saint-Jean d’où se dévoile une vue magnifique sur la chaîne des Pyrénées. Le Pic du Canigou s’est considérablement rapproché ! Je descends alors à travers la garrigue jusqu’au col des Auzines, traverse le village de Tarerac, spécialisé au 18ème siècle dans la contrebande du sel, passe au pied du Roc del Moro et du Roc del Cucut puis devant le prieuré roman de Marcevol avant de plonger vers la retenue de Vinça et poursuivre jusqu’au hameau de Joch.

Voici le texte de cette vidéo :

De la fenêtre de ma chambre je vois au loin le plan d’eau sur l’Agly en direction de  Caramany, une retenue artificielle réalisée pour écrêter les crues et stocker l’eau potable. Au petit déjeuner, Svetlana m’accueille avec un plateau débordant de viennoiseries et de gâteaux de sa composition. C’est maintenant le moment de nous quitter. Je repars, certaine que je garderai un souvenir vif de cet accueil peu ordinaire.

Dans les rayons du soleil matinal, le village d’Ansignan,  qui domine la serra Llangue, se serre gaiment autour de son église. Peu après l’avoir quitté je dois plonger au fond de la vallée du Désix, franchir cet affluent de l’Agly et remonter en face sur la Payssère de la Figuerasse. Quand je me retourne, le Serre de Vergès qui surplombe la Garrigue de Roque Rouge se dévoile fièrement. Je sors de la forêt et longe les vignes, laissant loin derrière moi vers le nord, la montagne de la Quille et le col de Lesquerde que j’ai franchi hier. Coup d’œil sur les montagnes du Fenoullièdes avant d’arriver au village de Trilla dont les joyeux habitants ont la nostalgie des pays lointains avec cette étrange roue à vent qui m’évoque le Tibet.

 Je poursuis mon chemin jetant des regards en arrière vers Ansignan et au loin Saint-Paul-de-Fenouillet et sa clue de la Fou caractéristique que je visionne au zoom. Je grimpe ainsi dans la forêt odorante jusqu’au col de Saint-Jean. Alors, changement de décor : à travers les branchages j’entrevois mon but, la chaîne des Pyrénées qui se dévoile, majestueuse avec, sur la droite, le Pic du Canigou qui s’est considérablement rapproché ! Demain, j’y serai ! Je grimperai le long de cet éperon rocheux pour atteindre son flanc est.  Ma joie est vive d’approcher ainsi, lentement mais sûrement, le but de ma traversée, la frontière espagnole, d’autant plus vive que le soleil rayonne sur la garrigue environnante dans la descente que j’amorce jusqu’au col des Auzines.
Le GR de pays du Tour du Fenouillèdes que je suis depuis deux jours empreinte une petite route mangée par les herbes. Il laisse sur sa gauche le village de Trévillach avant de s’enfoncer au milieu des Côtes du Roussillon, un vin d’appellation d’origine contrôlée.

Les détours sont longs avant d’atteindre enfin le village de Tarerach bâti au pied d’une ligne de crête qui me barre l’horizon. C’est là que je devrai franchir un nouveau col entre le Roc del Moro à gauche et le Roc del Cucut à droite : je comprends vite que, pour l’atteindre, un joli raidillon m’attend sous la chaleur. J’aurais aimé me restaurer à la terrasse d’un café mais seule l’église romane et son grand clocher-mur m’accueille avec indifférence.

Un peu d’histoire. Depuis le traité de Corbeil en 1258 qui fixe la frontière du royaume de France, le village est mal protégé, à la merci des pillards. En 1659, le Roussillon est rattaché à la France mais Tarerach continue son rôle de village frontalier entre les provinces du Roussillon et du Languedoc. C’est alors que les gens de Tarerach se spécialisent dans la contrebande : ils transportent et vendent le sel d’Espagne beaucoup moins cher que le sel soumis à la gabelle.

Sur le site Internet du village je lis qu’en 1739, « aux environs d’Estagel, les gardes de la gabelle interceptent en pleine nuit un convoi de sept bêtes chargées de sel d’Espagne, dont les conducteurs ont le temps de prendre la fuite après avoir tué un brigadier. Les soupçons se portent immédiatement sur les gens de Tarerach, réputés pour être des faux-sauniers. Une enquête menée […] confirme la chose : plusieurs témoins reconnaissent les mules et donnent même les noms de leurs propriétaires, soit en tout onze hommes de Tarerach, alors que le village compte quinze familles à la même époque. Certains ont réussi à prendre la fuite, d’autres sont arrêtés et interrogés. Tous s’estiment innocents, et leurs témoignages font parfois sourire. L’un d’eux déclare avoir « quitté le métier depuis 25 ans » ! ».
Au col, le Pic du Canigou est à portée de regard !

Peu après, je récupère le GR 36 sur ma droite puis je passe à proximité du village d’Arboussols. A quelques pas aussi d’une œuvre de Wolfgang Laib, un artiste allemand, qui a réalisé ici, en 2000,  « La chambre des certitudes », un petit espace qu’il a creusé dans un rocher du Roc del Moro et qu’il a entièrement enduit de cire d’abeille, dont le parfum invite à la « méditation sur la condition humaine » et à la contemplation de la nature.

Je traverse une zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, la ZNIEFF « Coteaux du Fenouillèdes et Roc del Maure », zone de pelouses et de landes, bien mal documentée, puis j’arrive au charmant hameau de Marcevol. Son prieuré roman du XIIème siècle s’élève face au Canigou, « la montagne sacrée des Catalans » dans un site exceptionnel, sur un plateau qui domine la vallée de la Têt. Dans les années 1970, il n’était que ruine. Des bénévoles se sont acharnés à le restaurer soutenus ensuite par les aides publiques. Le résultat est réussi. Malheureusement, le prieuré est fermé à la visite en ce moment et je dois donc passer mon chemin. Il me reste à dévaler par un chemin abrupt les 300 m de dénivelée qui me séparent de la retenue de Vinça. Le sentier bordé de murets m’offre des vues superbes sur le lac artificiel, la ville de Vinça et la chaîne des Pyrénées.

Arrivée au pont, il me reste encore une heure de marche sur le goudron hors GR pour arriver au centre de la ville déserte à cette heure de l’après-midi. Les lieux sans doute animés en période ordinaire de non pandémie sont fermés. Je finis par trouver la petite épicerie « La Casa del Papy ». On m’installe à une unique table située sur la place devant un Perrier citron puis je repars chargée d’une barquette de poulet rôti, salade, patates « Papy » pour mon repas du soir.

En fin d’après-midi, je rejoins le hameau de Joch par la D13 où je suis attendue à la maison d’hôte « Fleur du Conflent » par sa propriétaire, une femme pleine d’attention qui m’offre fruits et boisson et me propose de laver mon linge – quel bonheur simple ! – Je prends mon repas sur une petite terrasse privative puis de la fenêtre de ma chambre je contemple ce qui m’attend demain : les flancs du Canigou.

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