UN ÉTÉ AGITÉ DANS UN MONDE PERTURBÉ par Léon-Etienne CREMILLE

DU COMPLEXE MILITARO-INDUSTRIEL À L’AGRICULTURE INDUSTRIELLE

L’été 2020 a été marqué par un certain nombre d’évènements  graves voire tragiques qui ont un rapport direct avec le système de l’agriculture industrielle mondialisée

1. Les méfaits de l’agriculture industrielle

1.1. Les engrais de synthèse

1.1.1. Le nitrate d’ammonium, un engrais et une poudre à canon

Le nitrate d’ammonium se présente sous la forme d’un sel blanc et inodore, de formule NH4NO3, découvert en 1659 par le chimiste allemand Hans Rudolf Glauber, qui l’avait surnommé « nitrum flammans ». Un autre chimiste allemand, Fritz Haber, parvint en 1909 à mettre au point une méthode de synthèse de l’ammoniac (NH3) qui peut ensuite être transformé en oxyde d’azote (NOx) puis en acide nitrique (HNO3). Lors de la 1ère guerre mondiale de 1914-1918, l’Allemagne, isolée des producteurs de nitrates, donne une portée industrielle au procédé Haber permettant de fabriquer de l’ammoniaque à partir de l’azote de l’air. Ce procédé a une grande importance militaire car l’acide nitrique (HNO3) est un précurseur de la poudre à canon et d’explosifs puissants comme le Trinitrotoluène (TNT) et la nitroglycérine. Il a été « l’arme fatale » de l’armée allemande lors de la guerre avant d’être massivement recyclé en agriculture. Le sel d’ammonium (NH4) et le nitrate (NO3) servent en effet à la fabrication d’engrais, de l’urée (CO(NH2)2) et du nitrate d’ammonium (NH4NO3).

En résumé, les composés azotés, pourvus d’un grand pouvoir oxydant, entrent dans la composition d’explosifs civils et militaires. Ils avaient été produits en grande quantité pour la fabrication d’armes et ils vont être par la suite massivement convertis en engrais azotés de synthèse pour l’agriculture industrielle sous le nom d’ammonitrate.

1.1.2. Le nitrate d’ammonium, sa fabrication et les dangers de son stockage

Dans l’industrie mondiale, les engrais azotés représentent annuellement près de 100 millions de tonnes sous la forme de nombreux types de produits, liquides et solides, parmi lesquels l’ammoniac (NH3), le nitrate d’ammonium (NH4NO3) et l’urée (CO(NH2)2), les plus communs. Le marché de l’azote est actuellement dominé par l’Asie qui en consomme 6 fois plus que l’Europe. En France, 5 à 6 millions de tonnes d’engrais azotés dont 2 millions sous la forme d’ammonitrate, sont utilisés par an. Le leader mondiale des engrais, le groupe Yara, en produit de l’ordre de 500.000 tonnes par an et peut en entreposer jusqu’à 68.000 tonnes dans son usine d’Ambès vers Bordeaux. De nombreux autres entrepôts sont répartis sur le territoire français dont 108 sont classés dangereux selon la directive européenne Seveso, 16 d’entre eux étant situés en « seuil haut » car ils en contiennent plus de 2.500 tonnes.

Le nitrate d’ammonium fait partie des trafics réguliers de ports tels que Saint-Malo, Saint-Nazaire ou Nantes. À Saint-Malo, le trafic varie de 40.000 à 60.000 tonnes par an, soit un à deux navires par mois. La cargaison elle-même n’est plus transportée en vrac mais en « big bags « , de grands sacs de 600 kg dotés d’une double enveloppe, censés être étanches.

Le nitrate d’ammonium est un produit très dangereux surtout s’il est entreposé en vrac. Le mardi 11 août 2020, l’explosion d’un stock de 2.750 tonnes a ravagé la ville de Beyrouth, causant la mort de près de 160 personnes et faisant 6.000 blessés. Ce terrible accident n’est pas isolé. Il fait écho à l’explosion du 21 septembre 2001 de 300 tonnes de ce même produit stocké dans le hangar 221 de l’usine AZF de Toulouse qui a fait 31 morts et 2.500 blessés.

D’autres explosions antérieures avaient déjà provoqué des dégâts considérables et de nombreux morts dans plusieurs pays du monde. Récemment, en 2015, 173 personnes ont perdu la vie à Tianjin, dans le nord-est de la Chine, après l’explosion d’un entrepôt contenant plus de 2.400 tonnes de produits chimiques, dont 800 tonnes de nitrate d’ammonium. Au XXème siècle déjà, de nombreux accidents se sont produits. Ainsi, le 21 septembre 1921, à Oppau en Allemagne, un silo d’une usine BASF contenant 4.000 tonnes d’un mélange de nitrate et de sulfate d’ammonium a explosé et provoqué la mort de 586 personnes, détruisant la majeure partie de la ville. Mais aussi, le 16 avril 1947, un navire français transportant 2.200 tonnes de nitrates d’ammonium a explosé dans le port de Texas City aux Etats-Unis et provoqué la mort de 576 personnes. Et encore, le 28 juillet 1947, un autre navire français transportant 3.100 tonnes du produit a subi un incendie mais n’a la mort que de 22 personnes, le bateau ayant été transporté au large de Brest ! Depuis la fin des années 1980, dix accidents susceptibles d’avoir impliqué le nitrate d’ammonium ont été recensés en France. Une liste beaucoup plus longue pourrait être établie au niveau mondial.

1.2. Les effluents d’élevages de porcs et la formation d’algues toxiques

De la seconde moitié du XXème siècle jusqu’aux années 2000, le système de l’agriculture industrielle entraîne de fortes dégradations des milieux naturels. Il pollue la mer, les eaux souterraines et superficielles, et il provoque de puissantes émissions de gaz à effet de serre. En Bretagne, les déversements actuels de nitrates dans les rivières constituent l’une des plus anciennes, des plus constantes, des plus étouffées et des plus scandaleuses pollutions.

Une bande dessinée de 150 pages parue en 2019 très bien documentée
Une campagne d’affichage de 2011 de France Nature Environnement contre les pollutions

Alors que pas moins de 3 hommes et de 40 animaux ont déjà été retrouvés morts sur les plages bretonnes du département des Côtes d’Armor, le phénomène des algues vertes a été soigneusement et scandaleusement passé sous silence tant par les élus des structures agricoles, FNSEA en tête, que par les lobbies de l’agro-industrie, les élus du peuple et l’administration. Une journaliste courageuse et tenace, Inès Léraud, et le dessinateur Pierre Van Hove ont mené une longue enquête de terrain de plusieurs années. Ils ont fait intervenir des lanceurs d’alerte, des scientifiques, mais aussi des agriculteurs et des politiques sur les pollutions par les algues vertes. On apprend notamment que des échantillons ont disparu dans les laboratoires, que des corps ont été enterrés avant d’être autopsiés, que se pratiquent des jeux d’influence, des pressions et que règne un silence de plomb.

Le phénomène s’est atténué parce que d’une part un ramassage systématique des algues est organisé d’avril mais il perdure toutefois dans des zones reculées et des vasières et que d’autre part des méthaniseurs, peu nombreux, sont installés qui fonctionnent avec du lisier et d’autres matières végétales en vue de produire de l’énergie. Mais il reste le digestat, le résidu liquide de la méthanisation considéré comme un déchet et assez difficile à valoriser. Justement, le lundi 17 août, un déversement accidentel de matières provenant d’une usine de méthanisation fût à l’origine de la pollution du fleuve l’Aulne du département du Finistère. Il s’est répandu en amont d’une prise d’eau et les concentrations en ammoniaque des rejets ont conduit le syndicat mixte de l’Aulne à mettre à l’arrêt l’usine d’eau potable dans la nuit de mardi à mercredi, privant d’eau potable à leurs robinets les habitants d’une cinquantaine de communes. A la suite de cet incident, le Préfet a diligenté une enquête qui devra servir de référence pour éviter de nouvelles pollutions du même genre.

1.3. Les betteraves sucrières et l’utilisation de pesticides néonicotinoïdes

Le climat des régions Hauts-de-France, Ile-de-France, Normandie et Grand-Est est idéal pour la culture des betteraves sucrières dont l’utilité est hautement contestable puisque qu’elles servent à fabriquer le sucre, un produit toxique, mais pire encore à fabriquer du carburant. Là aussi, les méfaits de la monoculture agriculture industrielle se manifestent du fait de conditions inappropriées de culture. Des plants et des semences, « modifiées » pour produire de grosses quantités de matière, sont fragiles et peuvent facilement attraper des maladies.

En cette année 2020, s’est développée une forte présence de Myzus persicae, des pucerons verts qui transmettent par piqûre un virus redoutable qui donne la jaunisse aux feuilles et contrarie le processus de photosynthèse et va entraîner une perte de récolte. Il y a sûrement des moyens biologiques de lutter contre cette maladie puisque l’on cultive cette plante  depuis des années ! Eh bien, c’est NON ! Il n’y a RIEN… Mais que font-ils donc les ingénieurs dans les Instituts techniques ? Restent-ils confinés dans leurs systèmes de croyance, se montrant incapables de résoudre les problèmes posés sans devoir passer, comme dans le cas présent, par des insecticides dangereux, des néonicotinoïdes, mortels pour les abeilles et interdits depuis 2018

En 2016, Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité annonçait la fin de ces insecticides tueurs d’abeilles en 2020, « quoi qu’il arrive ». Aujourd’hui, en 2020, sous la pression du puissant syndicat de la betterave, la même Barbara Pompili, devenue ministre de la Transition écologique, est contrainte de revenir sur sa propre loi d’interdiction des néonicotinoïdes, un mois presque jour pour jour après sa nomination au ministère de l’Écologie. Ce piteux retour en arrière sonne le glas de la sincérité du pouvoir à engager une véritable révolution écologique. Pire encore, là aussi, la décision prise relève du très court terme et atteint les sommets de la bêtise et de la stupidité humaine car elle accélère la descente aux enfers vers un monde invivable pour tous les êtres vivants de la terre. Le « monde d’après », que l’on nous prédisait meilleur, a fait long feu.

2. L’espèce humaine caractérisée par la bêtise et la stupidité

Une partie de l’espèce humaine, celle qui dispose de connaissances importantes sur les enjeux vitaux pour notre planète Terre, peut hélas s’apparenter aux tiques, une dangereuse espèce parasite qui pompe le sang des humains et leur inocule des maladies infectieuses, telles la maladie de Lyme. Elle pompe en effet le sang de la terre, que sont le pétrole, le charbon, les gaz de schistes, et provoque des pollutions à répétition tant des océans que des plages et des rivières ainsi qu’un inexorable et catastrophique réchauffement climatique. Elle ne fait rien de vraiment sérieux, n’entreprend jamais rien pour arrêter ces phénomènes. Les ressources naturelles seront extraites jusqu’aux dernières gouttes et les températures grimperont jusqu’à des valeurs insupportables et mortifères. S’agit-il de bêtise, de stupidité ?

En septembre 2010, le journaliste libanais Nagib Aoun a publié à ce propos dans le journal L’Orient-Le Jour une chronique qui reste toujours d’une brûlante actualité : « De la bêtise humaine« . L’auteur note avec justesse que pour les trois religions monothéistes : « Dieu, Allah, Jéhovah, trois noms pour un même Créateur, trois parcours pour une même référence, un triptyque qui se veut réunificateur mais qui n’arrête pas, depuis des siècles, de drainer toutes les incompréhensions, toutes les haines du monde.«  Et il poursuit : « Le monde est fou : on le savait depuis longtemps, depuis que les guerres déciment des populations entières, depuis que des cerveaux dérangés accaparent les pouvoirs, mobilisent les opinions au nom d’idéologies suicidaires ou de messages divins dont ils sont, comme de juste, les seuls récipiendaires… » C’est vrai ! Rappelons-nous en effet les injonctions écrites dans la Bible : « Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.« 

Beaucoup plus tôt dans le XXème siècle, Albert Einstein aurait affirmé : « Il n’existe que deux choses infinies, l’univers et la bêtise humaine… mais pour l’univers, je n’ai pas de certitude absolue.«  La bêtise, c’est un défaut d’intelligence, de jugement, de bon sens. Si l’intelligence avance à coup de questions, la bêtise, elle, veut toujours avoir le dernier mot. Il faut se faire à cette réalité que l’espèce humaine est caractérisée par sa bêtise infinie, mais aussi par sa stupidité incorrigible. Sur ce dernier aspect, le professeur d’histoire économique de l’Université de Californie à Berkeley, Carlo Maria Cipolla, a publié en 1976, le livre « Les lois fondamentales de la stupidité humaine » qui est le résultat d’un effort constructif visant à détecter, à connaître et peut-être à neutraliser l’une des plus puissantes forces obscures qui entravent le bien-être et le bonheur de l’humanité », à savoir la stupidité, laquelle écrit-il constitue la plus grande menace pour l’humanité.

Léon-Etienne CREMILLE le 29 août 2020