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Chalet de l’Albère, Col de l’Ullat – Banyuls
Mardi 8 septembre 2020
Le jour est arrivé ! Voici la vidéo retraçant la 86ème et dernière étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Partie du chalet de l’Albère, je marche sur la crête frontalière balayée par les vents jusqu’à la mer avec, à ma droite la plaine de l’Empordà espagnole, à ma gauche le Roussillon et le Golfe du Lion. Dans ce massif des Albères, les Puigs se succèdent, en particulier le Pic Neulos. La réserve naturelle nationale de la Forêt de la Massane est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. 86 étapes soit environ 2 100 km parcourus. Mon but était d’aller à la rencontre des paysages. Ma curiosité, ma soif de découverte n’ont jamais été déçues. Bien au contraire. Allégresse et jubilation ont constamment été mes compagnes. Car chaque étape m’a dévoilé ses patrimoines naturel, culturel, ses secrets…
Voici le texte de cette vidéo :
Voici donc le grand jour ! L’ultime étape de ma randonnée à travers la France qui doit me conduire à Banyuls. Au-delà c’est le plongeon dans la mer !
Je le sais, la journée sera longue, moins tout de même que lors de ces dernières étapes. Je vais parcourir les kilomètres qui m’attendent sur une immense crête balayée par les vents. Je suis prévenue !
Lorsque je m’éveille aux aurores, face au Roc de France gravi deux jours auparavant, la joie et l’enthousiasme sont pourtant intacts. Comme chaque matin.
Je profite de la chaleur des lieux pour prendre posément mon dernier petit-déjeuner puis, après un salut amical au gardien qui m’a tenu compagnie, je pousse la porte de son refuge pour accueillir la fraîcheur matinale tombée des majestueux pins Laricio. Laissant le Canigou derrière moi, à peine à une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau, je m’élance sur la crête caillouteuse, soufflée par les vents, grillée par le soleil.
Cette crête, sur laquelle court le GR 10, est la ligne frontière.
Le Roc dels Tres Termes franchi, je vise au loin l’antenne du Puig Neulos et profite des premières vues sur l’Espagne et la plaine de l’Empordà, à ma droite vers le sud, le Roussillon et le Golfe du Lion à ma gauche vers le nord. Régulièrement je me retourne pour ne rien perdre du décor qui m’entoure.
De ces hauteurs, j’appréhende parfaitement la première partie du cheminement qui m’attend.
J’ai tout à fait conscience de marcher sur l’avancée ultime des Pyrénées que constitue ce massif des Albères qui vient plonger dans la mer Méditerranée. Cette barrière naturelle s’allonge sur 18 km entre le col du Perthus que j’ai franchi hier et la côte que je devine au loin.
Cette chaîne est peu accessible car elle est constituée en fait d’une succession de pics abrupts, les puigs. Le Puig de Neulos que je viens de franchir en est le point culminant à 1256 m.
En 1964 cette tour de pierre fut dressée en l’honneur du berger « Manel » qui, au 19ème siècle, capta des sources et acheta des plants qu’il repiqua aux abords de ses fontaines et qui devinrent des forêts de frênes, de pins et de cèdres. Il avait construit lui-même une tour pyramidale en pierres sèches, par la suite démolie lors de l’installation de l’antenne.
En contrebas, les villages se sont étalés sur le piémont côté français, Montesquieu-des-Albères, Laroque-des-Albères.
Les crêtes sont arides mais les forêts sont proches et denses.
Je dévale maintenant une pente raide qui débouche sur le Pla de la Tanyareda où s’élève un petit refuge non gardé, sommaire et mal entretenu.
Coup d’œil en arrière sur le Pic Neulos et la forêt domaniale des Albères, coup d’œil aussi sur les flancs escarpés côté espagnol.
Je devine que ce massif si singulier est soumis aux différentes influences ibériques, montagnardes et méditerranéennes et que, des piémonts jusqu’aux crêtes, les milieux et les espèces doivent être particulièrement variés.
Le sentier qui sinue maintenant le long d’une molle croupe me conduit au Collada del l’Ori après deux heures de marche depuis mon départ ce matin. Peu après, la pente se dresse devant moi à l’assaut du prochain puig. Je me retourne alors pour profiter encore du Puig Neulos qui s’éloigne inexorablement dans mon dos. Tandis que se rapproche tout aussi inéluctablement le Puig de les Basses et peu après le Coll de l’Estaca.
Deux vaches, peut-être des « massanaises » à demi-sauvage encore appelées « massanenques » de race de l’Albera donc, pourquoi pas une Négra à la robe noire et une Fagina à la robe paille, paissent tranquillement, indifférentes à la vue pourtant exceptionnelle donnant sur le golfe espagnol de Roses.
La faim commence à se faire sentir. Je profite d’une pierre qui s’offre à moi, sous des hêtres à l’abri du vent, pour souffler un peu et sortir de mon sac mon piquenique, quelques fruits secs, un morceau de pain et de fromage.
Le GR passe à flanc sous le Puig de Pradets dans une magnifique forêt de hêtres, traverse els camp dels soldats avant de déboucher sur le col des émigrants, aux noms évocateurs de la Retirada, cet exode dramatique des Républicains espagnols après la victoire de Franco. A peine plus loin, après une courte remontée, j’atteins le Puig dels Quatre Termes et son panneau sur lequel je lis qu’il me reste plus de 5 heures pour atteindre Banyuls. L’après-midi vient à peine de commencer, j’ai donc tout mon temps.
L’endroit, battu par les vents a du caractère avec, quand je me retourne, la silhouette de ce chêne qui semble sculpté par l’homme et cette forêt venue de France qui semble lécher et vouloir dévorer les pâturages de la crête.
Je suis surprise car Insensiblement, j’ai dû me rapprocher considérablement de la côte française : j’imagine Perpignan au loin et plus près de moi Argelès-sur-Mer.
J’entre maintenant dans la réserve naturelle nationale de la Forêt de la Massane. Je lis qu’elle s’étend sur 336 hectares, entre 600 et 1250 m d’altitude et qu’elle est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette forêt est une hêtraie méditerranéenne en limite sud de répartition, « en position d’insularité continentale » qui a été laissée en libre évolution depuis 150 ans et beaucoup plus suivant les stations, ce qui lui confère un caractère naturel. Depuis plusieurs millénaires, sa continuité a été préservée. C’est une forêt ancienne, refuge glaciaire, qui possède une originalité génétique et une diversité forte.
Cette Réserve est considérée comme un laboratoire à ciel ouvert par la communauté scientifique avec plus de 100 ans d’observations.
8200 espèces végétales et animales (dont un grand nombre d’insectes) sont répertoriées par les chercheurs internationaux : autant dire que la diversité spécifique est exceptionnelle.
Sur la crête, la forêt fait place à la roche calcaire parsemée de végétation rase et d’arbustes aux silhouettes insolites, sculptées par le vent ou broutées par quelques massanaises.
Je dépasse le coll del Pla et atteins bientôt le Puig de Sallfort.
C’est là que le GR 10 laisse à sa droite la crête-frontière pour piquer plus directement vers la mer. Un peu plus loin je m’arrête auprès d’une famille qui piquenique derrière un rocher à l’abri du vent. Ensemble nous contemplons la vue grandiose sur la baie de Banyuls à droite, la Torre de Madaloc qui se détache sur le fond bleu de la mer et plus à gauche encore sur l’Anse de l’Espeluga vers Port-Vendres. Cette côte est la seule grande côte rocheuse du Languedoc-Roussillon ; elle se prolonge en Espagne jusqu’au cap de Creus au nord de Cadaqués.
Il m’est facile de suivre des yeux le tracé qui m’attend : Le GR 10 va rejoindre en contrebas la crête boisée du Serrat de Castell Seradillo et la suivre jusqu’à la piste qui semble remonter à flanc puis se perdre dans les replis du relief.
Je dois donc dévaler maintenant pas moins de 1 000 m de dénivelé. Dans un passage légèrement aérien, une petite crèche naïve se cache au creux d’un rocher. La pente est raide et très vite, sur une courte distance, j’avale près de la moitié du dénivelé.
La végétation change insensiblement : les frênes, bouleaux et châtaigniers ont fait place aux chênes verts et chênes lièges, puis au loin aux oliviers et aux vignes.
Mais c’est maintenant au milieu de la garrigue où je reconnais cistes et ajoncs que j’atteins le Coll de Vallauria. Un randonneur, sac au dos, marche devant moi. Il grimpe doucement pour franchir le Coll de Formigo et c’est sans peine que je l’y rejoins. Il termine sa tout dernière étape du GR 10, GR qu’il a commencé à Hendaye à l’autre bout de la chaîne des Pyrénées : Près d’une soixantaine d’étapes et plus de 900 km. Un parcours sportif que je connais sur quelques courtes sections.
Tout en devisant joyeusement, mais en regardant attentivement où nous posons nos pieds, (il vient de chuter devant moi et j’en ai fait autant près du Coll de Vallauria il y a moins d’une heure !) nous décidons de terminer ensemble cette étape qui, pour l’un comme pour l’autre, est tout à fait capitale !
Nous terminons à travers les vignes puis atteignons bientôt les ruelles de Banyuls où nous nous séparons cordialement, chacun retournant à ses occupations, sa famille, son pays.
J’ai retenu une chambre à l’hôtel « Les Pêcheurs » sur le front de mer. Après une courte promenade sur la plage de Banyuls, je m’arrête au « Jardin de Saint-Sébastien », un restaurant c‘est évident, devant une carte fort séduisante.
Je viens donc de terminer ma 86ème et dernière étape de cette traversée de la France. Partie de Lauterbourg au nord de Strasbourg, j’ai traversé successivement les régions Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne- Rhône-Alpes et Occitanie.
Et les 16 départements suivants, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Haute-Saône, Vosges, Haute-Marne, Côte d’Or, Saône-et-Loire, Allier, Puy de Dôme, Cantal, Lozère, Aveyron, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales.
Plus précisément j’ai traversé les Vosges, la Lorraine aux confins de la Champagne-Ardenne et de la Franche-Comté, la Bourgogne, la plaine de la Limagne, la chaîne des Puys, l’Aubrac, les Causses- Sauveterre, Méjean, Noir et Larzac-, le Haut et le Bas-Languedoc, et enfin les Corbières, le massif du Canigou et celui des Albères dans les Pyrénées.
86 étapes soit environ 2 100 km parcourus.
Mon but était d’aller à la rencontre des paysages. Ma curiosité, ma soif de découverte n’ont jamais été déçues. Bien au contraire. Allégresse et jubilation ont constamment été mes compagnes.
Car chaque étape m’a dévoilé ses patrimoines naturel, culturel, ses secrets…
J’ai ouvert mes bras, respiré la liberté et empli mon cœur.
Je ne saurais donc retrancher une seule étape de ce parcours.