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Valmanya – Refuge de Batère
Vendredi 4 septembre 2020
Voici une vidéo retraçant la 82ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Je quitte le GR 36 et le village de Valmanya et grimpe en forêt jusqu’au balcon du Canigou et la maison forestière de l’Estanyol où je retrouve le GR 10 que je suis en direction de l’est jusqu’au col de la Cirera puis jusqu’au refuge de Batère. Je marche toujours bien sûr dans le Massif du Canigou, classé Grand Site de France. Je passe en face des anciennes mines de fer de la Pinosa et fais un aller-retour jusqu’à la Tour de Batère, une ancienne tour à signaux d’où je domine la vallée du Têt au nord et celle du Tech au sud.
Voici le texte de cette vidéo :
L’étape est courte aujourd’hui, pourtant je me lève quand la lune veille encore : je veux atteindre le refuge de Batère en milieu de journée et profiter de mon après-midi pour flâner sur les alpages. Je quitte ma chambre, traverse le réfectoire désert à cette saison (je suis seule dans cet immense gîte du Roc de l’Ours) et prends mon petit-déjeuner dans la cuisine. Puis je me dirige vers la sortie de Valmanya et, quittant le GR 36, j’avise une piste qui s’élève rapidement en s’enfonçant dans une forêt de sapins encore sombre à cette heure matinale bientôt remplacée par une belle forêt de hêtres. La pente est rude car le sentier remonte le ruisseau de Ribera del Casteli. Les 600 m de dénivelée pour atteindre le GR 10 sont donc bien vite avalés et me voici débouchant sur le balcon du Canigou, près de la maison forestière de l’Estanyol, devenue refuge non gardé.
Habituée depuis des jours à la solitude – je n’ai croisé que quelques très rares marcheurs depuis mon départ d’Azillanet il y a tout juste une semaine – la surprise est grande : je foule une autoroute. Un couple de Suisses qui a dormi là est en train de démonter sa tente. Trois autres jeunes quittent le refuge où ils ont dormi et bouclent leur sac à dos pour repartir sur le GR 10.
La vue se dégage au nord vers le Puig dels Becis et bien au-delà de la vallée du Têt, le Fenouillèdes et les Corbières traversés il y a quelques jours.
J’ai du temps devant moi alors, au lieu de suivre le balcon du Canigou vers l’est comme je le devrais, je le suis vers l’ouest, en direction de Biarritz. J’espère apercevoir les sommets au détour du chemin mais celui-ci grimpe au milieu des sapins, des hêtres et des sorbiers des oiseleurs qui me cachent constamment la vue.
Je finis par faire demi-tour et repasse devant de la cabane pastorale de l’Estanyol dans laquelle je prends le temps de rentrer. On peut dire qu’elle est rustique, deux bat-flancs, une cheminée, une table, des bancs. José et Gégé sont passés là le 31 octobre 2017. Ces deux-là comme celui du poteau voisin ont besoin de laisser des traces pour exister. Merci à eux pour ces graphismes pleins d’élégance !
Cette fois-ci, en direction du refuge de Batère, le GR 10 continue de grimper dans les pierriers. Entre les branchages, je peux bientôt apercevoir sur le flanc opposé, les ruines des anciennes mines de fer de la Pinosa, là où en juillet 1944, s’est installé le maquis FTP Henri Barbusse, composé de résistants français et de guérilleros espagnols. C’est de là que ceux-ci, en ralentissant la progression des Allemands, ont permis aux villageois de Valmanya de fuir dans la montagne.
Lors de la deuxième moitié du 20ème siècle le massif a subi des dégradations innombrables et graves. Après une longue lutte de plus de 50 ans donc, le massif du Canigó reçoit enfin en 2012 le label Grand site de France. De nos jours, pour la période 2018 – 2024, la préservation de la qualité paysagère est l’un des quatre grands enjeux. L’un des objectifs est, en particulier, de poursuivre la restauration des paysages dégradés.
La situation de ce massif près de la mer méditerranée et son altitude – il culmine à 2784 m – font de lui un bel exemple d’étagement de la végétation : pêchers, orangers ou agaves à ses pieds, chênes verts jusqu’aux éboulis, pelouses et landes, combes à neiges et alpages aux niveaux alpins.
Avec 11 espèces protégées, de nombreuses espèces rares et 30 espèces endémiques, la richesse floristique est immense. Il en est de même pour la richesse faunistique : 125 espèces d’avifaune et 17 espèces de mammifères protégées.
Ainsi on peut voir quelques espèces remarquables : Grand tétras, Perdrix grise des Pyrénées, Gypaète barbu, Desman des Pyrénées ou Rat-Trompette, Euprocte des Pyrénées ou Calotriton des Pyrénées, Buxbaumie verte, une toute petite mousse qui pousse sur du bois en décomposition, Minioptère de Schreibers, une espèce de chauves-souris. Mais il y en a bien d’autres.
J’atteins bientôt le col de la Cirera et sa croupe herbeuse gagnée par les pins, à 1729 m. Je me retourne et mon regard se perd une dernière fois en direction du nord, vers la vallée de la Têt et les Corbières. Mais je m’imprègne surtout de la vue imprenable sur le Haut Vallespir, la Catalogne sud et la vallée du Tech qui s’étend à mes pieds. Je pourrais presque deviner la Méditerranée.
Laissant sur ma gauche le Puig de l’Estelle, je poursuis sur son flanc le GR 10 jusqu’à un replat où poussent de superbes chardons des Pyrénées, Carlina acaulis, une espèce protégée.
Le sentier se faufile entre les pins puis dévale une vaste croupe dominant le Tech et la petite ville d’Arles-sur-Tech. En face de moi s’élève, grandiose, le Roc de France que je gravirai très bientôt, si tout va bien. Au-delà des crêtes à l’horizon, c’est l’Espagne ! Le but que je me suis fixé !
Je descends maintenant à travers les alpages où paissent des troupeaux de brebis (dont celui de Sophie, notre bergère de Valmanya) et des troupeaux de vaches.
Peu après j’atteins l’ancien bâtiment des mines de Batère réhabilité en refuge et auberge. C’est une étape incontournable pour les marcheurs qui se mesurent au GR 10, à la Haute Route des Pyrénées, au Tour du Canigou ou encore au Tour du Haut Vallespir. Que toutes ces marches me font rêver ! Un jour peut-être…
Pour l’instant, la spécialité du refuge au fromage de brebis arrosée d’un petit verre de blanc m’attend dans mon assiette. C’est fameux ! Sophie m’avait prévenue.
J’avais prévu de me reposer cet après-midi mais l’appel de la marche est plus fort, d’autant que le temps est magnifique.
Je suis donc la route jusqu’au col de la Descarga, laisse en contrebas le sentier que je suivrai demain et poursuis sur une piste horizontale où les vaches ont pris leur quartier et qui, lorsque je me retourne, m’offre de belles vues sur le Pic Gallinas qui culmine à près de 2 500 m. J’arrive bientôt au pied de la Tour de Batère, la Torra De Batera en catalan. Entre le 12ème et le 15ème siècle cette tour faisait partie d’un réseau de communication militaire de tours à signaux : fumée en journée, feux la nuit. Il s’agissait de renforcer la protection du royaume de Majorque face à la menace du roi d’Aragon. Je lis qu’elle constituait un important « nœud de réseau » vers lequel convergeaient les informations des autres tours. Elle captait les messages du Vallespir et les expédiait vers le château de Castelnou, le point de commandement, qui à son tour communiquait avec Perpignan.
Mais plus qu’une de fonction de protection, sentinelle visible de loin, elle était aussi le symbole de l’autorité du roi.
Je décide de poursuivre bien au-delà de la tour. Le temps est clair, je peux voir à presque 360° : la plaine du Roussillon et les Corbières s’étalent au nord, l’étang de Leucate, Perpignan et la mer que je devine à peine, et au sud, le majestueux Roc de France et tout le Vallespir.
A mes pieds, la silhouette du village de La Bastide est reconnaissable à ses maisons qui se serrent autour de son église.
Je reviens sur mes pas face au Pic de Gallinas et au massif du Canigou au loin, les yeux emplis de couleurs et de beauté, le cœur en fête.
Ce soir je dîne au refuge, entourée de jeunes pleins de vie qui reviennent de l’ascension du Pic du Canigou et les rires n’en finissent pas de résonner.
De la fenêtre de ma chambre, par-delà les pins noirs, je rêve devant le jour qui s’éteint sur la Méditerranée au loin, le massif des Albères et les crêtes les plus méridionales de la France continentale.