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Lagrasse – Termes
30 août 2020
Voici une vidéo retraçant la 77 ème étape d’un cheminement à travers la France, de la frontière allemande au nord de Strasbourg à, ( peut-être un jour!), la frontière espagnole au sud de Perpignan. Dans cette longue marche, mon attention se porte en premier lieu sur les paysages, leur protection et leur reconquête éventuelle ainsi que sur la biodiversité et sa reconquête.
Par le GR36, je m’élève au-dessus de l’abbaye bénédictine de Lagrasse, domine le site Natura 2000 de la vallée de l’Orbieu, traverse de magnifiques garrigues et forêts des Corbières orientales, passe à Caunettes-en-Val puis je suis l’insolite sentier sculpturel de Mayronnes jusqu’au col de la Croix avant d’entrer dans les Hautes Corbières, de descendre jusqu’au château cathare de Durfort et enfin de remonter dans la forêt domaniale de Termenès sous le serre de Coste Raste.
Voici le texte de cette vidéo:
L’hostellerie des Corbières et ses occupants dorment toujours quand je tire sans bruit la porte derrière moi. Hier soir, s’enquérant de mes goûts, l’hôtesse pleine de prévenance a préparé un plateau de petit-déjeuner que j’ai monté dans ma chambre.
Pas grand monde dans les ruelles de Lagrasse qui me conduisent sur une place pavée, où la halle du 14ème siècle reste sans doute le poumon de la ville, tout comme au Moyen-Age, les jours de marché. La ville est traversée par l’Orbieu qu’enjambent deux ponts dont le vieux pont fortifié, autrefois à péage.
Dans la Gaule carolingienne, Nimfridius et ses compagnons construisent un monastère que Charlemagne, en 778, reconnaît par une charte. Cette abbaye bénédictine de Sainte-Marie de Lagrasse devient la plus puissante du Languedoc médiéval, l’une des plus importantes de France. On y entre non dans un cloître mais dans un palais qui s’est transformé au fil des siècles.
Sur le guide de l’abbaye, je lis que « les ouvriers s’affairent. Le gothique est à la mode : on cherche l’air, la lumière, le raffinement. Dans la chapelle privée de l’abbé les murs et le sol s’ornent de jeux de couleurs. Les moines sont nombreux, ils sont riches aussi. Aiment leur confort. L’abbaye, prospère, tire l’eau jusqu’à elle, exploite la terre, fait vivre le village qui se développe à son tour. Les marchandises passent le pont, les artisans travaillent à plein, la halle vibre de leurs échanges lucratifs. Dans l’abbaye, la voix des temps anciens se fait entendre, animée, souvent inattendue… »
Le GR 36 qui est également, je viens de l’apprendre, le sentier européen E4 qui relie la Suisse à l’Espagne, ce GR s’élève au-dessus de la vallée encaissée de l’Orbieu, un site Natura 2000, dans une forêt de pins dont les aiguilles colorent de rouge la piste calcaire bordée de cyprès. Le soleil rasant inonde d’or des pans entiers de la pinède et des sous-bois de chênes verts et de chênes pubescents.
Etant passé au lieu-dit « les fesses de Charlemagne » – sans les voir !- j’atteins, à près de 300m d’altitude, le sommet couvert de garrigue de la Castagnère qui domine la combe du chaudron et le méandre parfaitement formé du Sou, un petit affluent de l’Orbieu. Au loin le paysage est une succession de collines et de vallons recouverts de forêts dont certaines sont publiques comme la forêt domaniale des Corbières orientales que je viens d’atteindre.
C’est un véritable enchantement, cette piste qui traverse le Bois du Lauza dans l’éclairage matinal. Un puits bien entretenu invite sans doute à une halte par les grandes chaleurs de l’été.
J’arrive au Serrat de l’épine, un repli de terrain où affleurent des terres rouges. Je dévale dans le creux du vallon pour remonter en face sur Côte Aigre, une petite remontée aussi courte que raide. De là, je n’ai plus qu’à descendre doucement jusqu’à Caunettes-en-Val, un village qui porte bien son joli nom, Caune voulant dire « creux ». Un creux au fond d’un val, c’est là que je m’assieds dans l’herbe face à un potager pour avaler mon repas froid plutôt succinct. Pas de bistro dans les parages…
Le chemin emprunte une vire calcaire parallèle au tracé de la mudournelle, un ruisseau qui a creusé son lit dans les falaises calcaires. La présence de ces barres rocheuses nombreuses dans les Corbières est propice à la nidification des espèces rupicoles : faucon pèlerin, Grand-duc d’Europe, Circaète Jean-le-Blanc et même deux ou trois couples d’Aigles royaux. D’autres espèces rares vivent dans les milieux encore ouverts comme le Pipit rousseline ou le Bruant ortolan. Depuis hier déjà je chemine dans une zone Natura 2000. Cette zone assure aussi une fonction de corridor pour des espèces patrimoniales comme les Vautours et le Crave à bec rouge.
Tiens ! Qu’est-ce donc que cette mosaïque plaquée au sol ? Je rejoins le sentier sculpturel de Mayronnes. Son but est de faire le lien entre nature et sculpture, création artistique et monde rural.
J’éprouve rapidement un vrai bonheur à chaque nouvelle découverte, quand une nouvelle sculpture surgit au détour du chemin, mise judicieusement en valeur par l’artiste qui rend le paysage plus attachant encore. « Sauter » d’une sculpture à une autre renforce ce sentiment de liberté qui ne me quitte pas.
Je fais un crochet par les quelques maisons de Mayronnes. La cabine téléphonique semble insolite dans ce lieu, d’un autre âge, signe sans doute d’une couverture imparfaite de la connexion. Mais loin des turpitudes des métropoles hypertrophiées, ce sont bien les habitants de ce lieu qui ont affiché avec détermination les conditions d’existence de ce sentier sculpturel : « Il ne veut s’aligner ni se soumettre à aucune idéologie, aucune mode, aucune autorité artistique, commerciale ou institutionnelle. Il veut résister activement au nivellement des sensibilités et des pensées, aux conformismes anciens et nouveaux. »
Ayant tourné le dos au village de Mayronnes protégé au creux de son plissement de terrain mais aussi par le cul de sac de la seule route qui le dessert, je repars sur une piste qui grimpe au Col de la Croix.
Ma route est encore longue, le massif de Lacamp étant tourmenté. Aux Hautes Jonquières, je m’engage sur une route qui m’intrigue rapidement par son orientation qui ne correspond vraiment pas à ma carte. Il me faut retourner sur mes pas et m’enfoncer jusqu’au fond du vaste cirque des Soulanes sous le Serre de la Penne. J’y trouve les ruines de la chapelle Saint-Clément au pied de laquelle je m’arrête un instant pour grignoter quelques fruits secs. Je chemine maintenant dans les Hautes Corbières, une région encore plus sauvage, très peu peuplée. Ici la forêt de pins sylvestres et de chênes, magnifique, hérissée de cyprès effilés recouvre les flancs de la colline.
Au loin derrière la montagne se cache le château cathare de Termes mais pour l’instant, alors que je vois en face la piste que je devrai bientôt suivre, je dois faire un long détour pour descendre au fond de la vallée de l’Orbieu et passer devant le château de Durfort. Sur son piton rocheux, bien protégé par la boucle de l’Orbieu, celui-ci constituait dès le 11ème siècle une bonne position de défense. Plus tard en 1209, le seigneur de Durfort se range du côté des Cathares par son alliance avec Olivier de Termes. Mais Simon de Montfort, à la tête de la croisade contre les Albigeois, passe par là et ce château tombe à ses mains et devient alors la propriété de l’un de ses lieutenants.
Je rejoins une route, traverse l’Orbieu et poursuis vers le nord sur un kilomètre en direction de Lagrasse pour venir chercher le chemin qui doit me conduire au hameau de Creuille. C’est là que je m’arrête ce soir. Par prudence je téléphone à la table d’hôte pour m’assurer que je suis sur la bonne piste. Celle-ci s’élève dans la forêt domaniale de Termenès sous le serre de Coste Raste qui domine et cache la petite ville de Termes. Je marche dans un paysage somptueux aux horizons bleutés alors qu’à mes pieds la garrigue m’offre de superbes dégradés de verts sur une terre rouge particulièrement sauvage.
Au bout d’une heure je distingue le hameau de Creuille. L’endroit est au milieu de nulle part, totalement perdu. Sur la brochure de l’accueil paysan, il est dit que « Brigitte et Jean accueillent les amoureux de la nature dans le plaisir du partage et de la rencontre, dans leur maison rustique et chaleureuse, avec l’excellente cuisine de Jean. »
Oui, la maison est simple, c’est une ancienne bergerie. Notre échange est aussi sincère que chaleureux. Nous rions en racontant nos vies tout en nous régalant des légumes du jardin. Alors que je monte dans ma chambre, Jean se met au piano. Sans bruit, je redescends pour l’écouter. C’est un moment fort qui va me marquer longtemps encore.